La réalité mathématique et l'épistémologie d'Einstein
Constatant
la déconcertante efficacité des mathématiques en physique, le physicien
Max Tegmark défend l'idée que toute la réalité puisse en fait être purement mathématique.
Ce type d'idée n'est pas nouvelle. C'était déjà la thèse de Pythagore
pour qui la matière serait composée de nombres. L'argumentation de Max Tegmark consiste à dire que puisque les phénomènes physiques peuvent être décrits
en terme mathématiques, alors ils leur sont équivalents, et l'on peut
donc conclure que l'univers est mathématique. Beaucoup ne sont pas
convaincus et rétorquent que les mathématiques peuvent très bien
seulement modéliser les phénomènes sans pour autant que ceux-ci soient
d'essence mathématique.
Nous reproduisons ci-dessous un extrait de l'Amour de Raison Universelle
portant sur l'épistémologie d'Einstein qui apporte des élements pour
penser que les marthématiques ne décrivent pas seulement les phénomènes
physiques, mais qu'ils sont capables d'atteindre également l'essence
des choses:
"La sensation de la Raison pure n’est nulle part mieux
éprouvée qu’à l’intérieur de la géométrie euclidienne. Là, les propriétés des
figures et les théorèmes découlent avec une telle clarté qu’il n’y a rien à aller
chercher au-delà. Il n’y a que la confusion de l’esprit humain pour s’imaginer
un mystère en amont, et réclamer sans cesse des pourquoi à la plus parfaite des
nécessités.
Si en mathématique, nous
parvenons, après des efforts, à une compréhension absolument claire des
concepts et de leurs conséquences logiques, il n’est pas possible d’en dire
autant en physique: électricité, matière, énergie, champ magnétique, temps….
mais que comprenons-nous donc derrière ces mots ? L’idée d’une figure
géométrique se conçoit avec une telle clarté, que vous pouvez en visualiser une
nouvelle par la pensée sans jamais l’avoir observée dans le monde, alors que le
concept d’attraction gravitationnelle ne nous est connu que par l’expérience
sensible. Après tout, pourquoi pas une répulsion gravitationnelle ? Les
propriétés géométriques du triangle se déduisent par la seule puissance de la
Raison pure, alors que les liens de Causalité entre objets du monde physique,
par exemple le fait que la chaleur fasse bouillir l’eau, n’ont pas été déduits
grâce à une connaissance de l’essence de ces choses, mais ne sont connus que
par l’observation faisait remarquer David Hume. Les concepts que nous avons de
la réalité physique sont dans notre esprit grâce à notre contact avec le monde,
mais ils ne nous donnent aucune intelligence profonde de la nature. Nous ne
voyons pas la réalité, mais seulement la représentation que nous nous en
faisons dans notre cerveau. Nous ne pensons pas avec les véritables catégories
du réel, mais seulement grâce à des notions innées ou acquises.
Depuis que Galilée a réaffirmé
que le monde était écrit en langage mathématique, de grands savants ont
construit des modèles théoriques puissants qui décrivent efficacement des
phénomènes mystérieux, comme l’électricité, et nous montrent que toutes ces
choses obéissent à des lois fixes. Pourtant, la science continue de reposer sur
des concepts artificiels qui nous laissent ignorants de la réelle nature des
choses. Même si ces concepts s’avèrent utiles dans le domaine de validité
vérifié expérimentalement, ils ne nous donnent pas la clé de la compréhension des phénomènes de la nature.
Einstein avait bien perçu les
limites de la science empirique qu’il voulait dépasser. Sa plus grande
réussite, la théorie de la relativité générale, l’a conforté dans la direction
à prendre: “le problème de la gravitation
m’a converti à un rationalisme qui conduit à rechercher la seule source
crédible de vérité dans la simplicité mathématique”. En
réussissant à expliquer le secret de la mystérieuse attraction gravitationnelle
grâce au concept d’espace-temps courbe, Einstein a ouvert la voie vers une
science finalisée, où tous les concepts physiques seraient fondés dans la
Raison pure, c’est-à-dire dans la logique mathématique: “notre expérience jusqu’à ce jour, justifie en nous le sentiment que la
nature est la réalisation de la plus grande simplicité concevable
mathématiquement. Ma conviction, c’est qu’une pure construction mathématique
nous permet de découvrir les concepts, et les lois qui les relient, et nous
donnent la clé de la compréhension des phénomènes de la nature. L'expérience
peut bien sûr nous guider dans notre choix de l'emploi des concepts
mathématiques, elle ne saurait être la source d’où ils sont issus; l’expérience
reste bien sûr le seul critère de l’utilité physique d'une construction
mathématique, mais le véritable principe créateur réside dans les
mathématiques. En un certain sens, donc, je crois vrai que la pensée pure peut
atteindre la réalité, comme les anciens l’avaient rêvé”.
Einstein
passa les trente dernières années de sa vie à essayer de rendre compte
de tous les phénomènes de la nature par cette voie. Il entrevoyait une
théorie
physique ultime qui ne contiendrait plus aucun élément arbitraire et où
tout
découlerait avec la même nécessité qu’en géométrie: “le but ultime du physicien est de découvrir les lois élémentaires et
universelles de la nature à partir desquelles le cosmos peut être construit par
pure déduction”. “Une
théorie vraiment rationnelle devrait permettre de déduire les particules
élémentaires (électrons etc...) et non pas être obligée de les poser a priori.
Les constantes (physiques) ne peuvent
être que d’un genre rationnel comme par exemple Pi ou e”.
Le rêve d’Einstein est une
réponse ultra-rationaliste à la critique sceptique de nos concepts empiriques.
David Hume remarquait qu’à l'exception des mathématiques, aucune de nos idées
ou déductions logiques n’est véritablement certaine, ni nécessaire, et
concluait que nos concepts viennent seulement de l’habitude dans un monde
incompréhensible. Einstein a bien pris note des excellentes critiques de Hume,
qui l’ont d’ailleurs aidé à remette en cause nos concepts usuels d’espace et de
temps, mais sur le fond, Einstein répond, avec Démocrite et Spinoza, que tout
dans l’univers doit exister avec la même nécessité que les mathématiques, et
c’est parce que cette nécessité est d’une complexité inouïe qu’elle ne nous
apparaît pas à première vue ; toutefois une analyse approfondie permet de
l’entrevoir. "
Extrait de l'Amour de Raison Universelle.
► Démocrite (article présentant notamment la parentée de l'atome Grec avec les conceptions de Pythagore)
► Page principale du site du philosophe Willeime