Démocrite et la
philosophie indienne
Les atomes, l’infinité des mondes, l’athéisme, l’ataraxie (la tranquillité de l’âme), le microcosme ou encore la mutiplicité des existences sont autant de concepts développés par des philosophes indiens que l’on retrouve chez Démocrite. On crédite souvent Démocrite d’avoir introduit en Grêce la notion d’ataraxie (la tranquillité de l’âme) et également celle de microcosme (à moins que cela ne soit Pythagore). D'après les témoignages, Démocrite aurait rencontré des philosophes indiens au cours de ces voyages
Le rationalisme de Kapila
Deux siècles avant Démocrite, Kapila a fondé la toute première école indienne (Sâmkhya) avec une conception rationaliste, athée quoique dualiste de la réalité (lire les "Sāmkhya aphorisms of Kapila"). Il introduit la notion de microcosme.
L’athéisme hédoniste de Chârvâka
Un ou deux siècles avant Démocrite, Chârvâka propose une philosophie athée, matérialiste, hédoniste (école Lokayata). Dresser un parallèle entre Démocrite et cette école est tentant, d’autant que comme pour Démocrite, tous les livres de Chârvâka ont été brulés par les spiritualistes. Chârvâka semble différer sur un point majeur avec Démocrite : son empirisme qui nie l’existence des autres mondes, car ils ne peuvent être perçus. Chârvâka propose un matérialisme sensualiste, hédoniste et irréligieux mais irrationaliste car il nie l’universalité de la causalité, l’inférence logique et la réalité non perceptible par les sens.
Les atomes de Kanada
A une époque proche ou peut-être postérieure à Démocrite, le philosophe indien Kanada proposait également une conception atomique de la matière. Il y a 9 sortes d’atomes chez Kanada alors que pour Démocrite, il y en a une infinité. L’atomisme Grec ne semble pas provenir de l'atomisme indien mais a été développé indépendamment en Grêce pour expliquer le mouvement, répondre aux paradoxes des éléates, et aux problèmes posés par la théorie de l’infinie divisibilité de la matière d’Anaxagore (voir Lucrèce, livre I). Notons toutefois que déjà à l'époque de Démocrite, l’idée d’atome n’était pas considérée comme tout à fait nouvelle, et qu’un phénicien appelé Mochos (dont on ne sait rien) était crédité d’avoir également déjà avancé cette idée avant Démocrite (DK A-LV).
Une synthèse rationaliste de ces
premiers penseurs (Kapila, Chârvâka, Kanada) aurait du permettre à un Démocrite indien
d’émerger, mais la réaction théologique hindouiste a transformé rapidement la
doctrine de Kanada, puis celle de Kapila, en des systèmes religieux
dominés par un Dieu transcendant et a fait disparaitre l’école de
Chârvâka.
note: lire "The Samkhya system of the Bhagavata Purana" de Peter Charles Basel qui montre que le Kapila de la Bhagavata Purana est une récupération théologico-spiritualiste et donc une dénaturation du Kapila originel.
L’infinité des mondes dans l’hindouisme
Dans l’hindouisme, la réalité suprême est Brahman, lui-même composé d’une infinité de Brahma (le créateur de notre monde), soutenu par Vishnou puis détruit par Shiva qui relance un nouveau cycle. Dans le « cinquième véda » (les puranas), Vyasa décrit d’autres mondes, différents du notre.
« La religion hindoue est la seule des grandes
religions consacrée à l'idée que le cosmos lui-même subit un immense, en fait
un nombre infini de morts et de renaissances. C’est la seule religion
dans laquelle les échelles de temps correspondent, par accident, à celles de la
cosmologie scientifique moderne. Ces cycles évoluent entre des durées
ordinaires jour-nuit à un cycle de Brahma 8,64 milliards d'années. Plus que l'âge de la terre
ou le soleil et près de la moitié du temps depuis le Big
Bang. »
Carl
Sagan
La multiplicité
des existences de Kapila
On attribue ces propos à Kapila: «Mon apparition dans ce monde a pour
but d’expliquer la philosophie de Sankhya, qui
est hautement estimé par ceux qui souhaitent se libérer des chaines
des désirs matériels inutiles. Ce chemin de l'auto-réalisation,
qui est difficile à comprendre, a maintenant été perdus dans la course du
temps. Comprenez que j'ai pris ce corps de Kapila pour présenter et expliquer
cette philosophie à nouveau à la société humaine. " (Srimad
Bhagavatam 3.24.36-37)
Démocrite avait adopté une attitude
contemplative étrange pour ces contemporains: « [Démocrite]
estimait que la vision fait obstacle à la pénétration de l’esprit, alors
que d’autres souvent ne voient même pas ce qui est sous leurs pas, lui
voyageait de par tout l’infini, sans se heurter à aucune limite » DK
A-XXII « Démocrite écoutait la voix des oiseaux,
et, maintes fois se levant la nuit seul il avait l’air
de chanter doucement des chants, d’autres fois il racontait qu’il
voyageait dans l’espace infini, où il y a d’innombrables Démocrite
semblables à lui » (pseudo-hippocrate, lettre
n°10).
Qu'est ce que Démocrite avait compris ?
L'explication ici: l'Eternité des Essences et la Mutiplicité de l'Existence
Le recueil Diels-Kranz, l'ouvrage de référence sur les présocratiques,
ne mentionne pas l'intégralité des fragments et tronque la partie
essentielle à la compréhension des idées de Démocrite sur ce sujet,
probablement trop choquante pour l'esprit de ces compilateurs:
"Vous affirmez
que, suivant Démocrite, il y a des mondes sans nombre et qu’il y en a
même qui sont non seulement semblables entre eux mais si parfaitement
pareils à tous égards qu’il n’y a entre eux aucune différence et de
même pour les hommes. Puis vous demandez que, si un monde ressemble à
un autre monde au point qu’il n’y ait entre eux nulle différence, on
vous accorde qu’il se rencontre aussi, dans ce monde que nous habitons,
des choses tellement semblables qu’il n’y ait entre elles aucune
différence, aucune distinction possible. Car, ajoutez-vous, puisque ces
atomes dont tout provient selon Démocrite, ont pu former et ont
réellement formé dans d’autres mondes supposés innombrables
d’innombrables Q. Lutatius Catulus, pourquoi n’y aurait-il pas dans ce
monde-ci qui est si grand un second Lutatius Catulus ?" "Te
représentes-tu le petit groupe que nous formons, nous qui sommes à
Baules en vue de Pouzzoles, se répétant à l’infini dans des endroits
tout pareils, composé d’hommes portant le même nom, ayant rempli les
mêmes charges, accompli les mêmes actes, identiques à nous par
l’esprit, l’apparence extérieure, l’âge et l’objet de leur entretien ?"
Cicéron, premiers académiques, XVII et XL.