l’Eternité des Essences et La Multiplicité de l'Existence

 






Pour pouvoir suivre l’idée exposée ici, il faut que le lecteur accorde que l’univers (ou le multivers) est infini et contient une infinité de mondes.





Callilope    « Bien que notre métaphysique matérialiste exclut la vie éternelle dans un autre monde, au cas où vous ne l’ayez pas encore remarqué, elle prédit pour toute chose une certaine forme d’immortalité. Accrochez-vous, je vous emmène vers des conclusions auquel le dualisme dominant et sa fable sur l’immatérialité de l’âme ne vous a pas préparés.


         Doté d’un niveau de conscience à peine supérieur à celui de l’animal, l’être humain se définit comme étant le corps présent. Interrogé, sur ce qu’il appelle “je”, ou sur ce qu’il entend par “soi”, l’homme désigne son corps biologique. Toutefois, l’expérience des mutilés ou encore celle de la greffe d’organe montre que l’identité ne nécessite pas l’ensemble du corps, mais vraisemblablement seulement quelques fonctions du cerveau. Un raffinement de la première réponse consiste alors à définir le soi comme la suite des souvenirs portés par le corps présent ; cependant, là-aussi, force est de constater que la totalité n’est pas nécessaire. Ne pas avoir vécu tel ou tel événement mineur de mon quotidien, ou oublier certains détails de mon passé, c’est rester malgré tout moi-même. A bien y regarder, de tous mes souvenirs, je ne vois qu’une seule idée que je ne puisse oublier sans disparaître à coup sûr: le sentiment de soi. Devenir amnésique au point de perdre jusqu’au sentiment de moi-même, c'est mourir, pour éventuellement laisser renaître un autre esprit dans mon corps toujours vivant. Je suis la remémoration consciente de mon sentiment d’exister. Cette présence latente fait de moi qui je suis. Le soi est l’idée du corps établie grâce aux capacités logiques et sémantiques du cerveau d’Homo sapiens. A travers les différents sentiments de soi possibles, la nature génère toute la palette des personnes humaines réalisables, de telle sorte que dans chaque corps conscient, les rapports particuliers qui compose le sentiment d’exister définissent une essence singulière.


         Ayant admis la fausse identification du soi à l’ensemble de son corps ainsi qu’à la totalité de ses souvenirs, je me reconnais comme étant mon sentiment d’exister, qui se voit lui-même se manifester dans un corps sensible, avec des désirs et des souvenirs associés au temps présent. Cette compréhension de soi-même a une conséquence extraordinaire. Puisque “je” est un souvenir remémoré, “je” peut exister au-delà du corps que je perçois en ce moment. Lorsque je m’endormirai ce soir, je succomberai peut-être en ce monde, mais dans un autre temps, au fond de lui-même, quelqu’un se souviendra de moi. […]


         Cette immortalité de poète, éthérée et consubstantielle à la nature, a une existence bien plus concrète que ce qu’ont généralement osés se représenter même ceux qui l’avait devinée. Comme dans toute région finie de l’espace, le nombre de possibilités dans les associations atomiques est toujours un nombre fini, il en résulte qu’à travers la multitude infinie de mondes, toutes les situations physiques finies sont reproduites une infinité de fois. “Certains mondes sont non seulement si semblables entre eux, mais encore si parfaitement et absolument pareils en tous points, qu'aucune différence ne les distingue” disait Démocrite, lorsqu’il fermait les yeux et voyageait par la pensée dans ces contrées éloignées, où il rencontrait “d'innombrables Démocrites” identiques à lui. Chaque chose finie est réalisée dans une quantité inimaginable d’histoires. Ici, dans nos mains, toute chose finie est mortelle et décomposable, mais son essence demeure éternellement réalisée à travers l’infinité des mondes. Dans un autre temps, dans un autre lieu, la matière se réorganisera dans son ordre actuel et te donnera une seconde fois la lumière de la vie. En fait, tout homme a déjà existé une infinité de fois, et reviendra encore et encore. “Tournons nos regards vers l'immensité du temps écoulé, songeons à la variété infinie des mouvements de la matière: nous concevons aisément que nos éléments de formation actuelle se sont trouvés plus d'une fois déjà rangés dans le même ordre, mais notre mémoire est incapable de ressaisir ces existences détruites, car dans l'intervalle la vie a été interrompue” expliquait Lucrèce.


        
Tout esprit est bien plus vaste que ce qu’il perçoit actuellement. Les autres corps dotés d’une organisation cérébrale définissant un sentiment d’exister absolument identique au mien sont d’autres parties de mon être. Ces autres corps ne sont pas des autres mois, c'est moi ! J'éprouve le même sentiment d'exister partout, et je n'ai pas plus de réalité ici, là-bas, ailleurs, dans le futur ou dans le passé. Par rapport à ma conscience actuelle, ces autres existences sont un peu comme ces vieilles photos sur lesquelles je me surprends parfois à me découvrir dans des instants étranges, que j’ai manifestement vécus, mais dont il n’y a aucune trace dans ma mémoire présente. Du point de vue de l’instant où j’écris ces lignes, je ne suis pas plus étranger au moi que je me souviens avoir été il y a quelques années, ni au moi qui a oublié ce qu’il a vécu, ni non plus au moi que je suis ailleurs et dont il n’y a aucune trace ici. Mes états de conscience ne sont pas continus, mais s'enchaînent les uns les autres et placent mon essence unique dans toutes les situations possibles.


         Etant donné que par mon corps présent, je ne suis actuellement qu’un mode fini de mon être infini, mes pensées n’ont aucun pouvoir d’action sur ce qui se passe, de toute façon, ailleurs, dans les autres parties de mon être. Par conséquent, mes décisions doivent uniquement concerner mon corps présent dans ce monde fini. La conscience de la multiplicité de son existence n’a pas d’incidence sur la conduite de sa vie dans la pratique. Cette compréhension ne change presque rien aux choix que l’esprit doit faire durant ses manifestations finies. Elle bouleverse en revanche son émotionnel métaphysique, en lui offrant la chance d’adoucir sa tristesse liée à l’idée de la disparition de son être, et de tous ceux qu’il a aimés.

Krishna

         La compréhension de l’éternité des essences ne mène pas à une disparition des sentiments liés à notre finitude, mais elle constitue une invitation à leur sublimation. L’existence sensible de tout être connu demeure éphémère, et la limite au champs d’une mémoire humaine laisse à chaque chose aimée, à chaque événement vécu, une place irremplaçable dans nos souvenirs, et pourtant nous percevons désormais que nous sommes éternels, et demeurons au-delà de ce que nous montrent nos sens. La compréhension de la permanence des essences métamorphose notre rapport au temps. Elle transforme chaque instant vécu en un fragment d'éternité, engendrant ainsi, une forme de salut immanent ; c’est-à-dire des sentiments métaphysiques bien différents de ceux généralement associés à la fable sur la vie après la mort. L'âme éveillée à la conscience de la totalité du temps n’espère pas un lieu surnaturel pour y poursuivre indéfiniment l’existence. Ce lieu, elle le possède déjà. Son temple, c’est la nature ; son sanctuaire, l’univers infini et matériel. Et même si, elle devine au sein du cosmos renfermant l’infinité des possibilités, l’existence de mondes où sa vie est merveilleuse, elle ne saurait tenir ces lieux comme l’aboutissement final de l’existence. Aucune planète n’est indestructible comme le paradis biblique. Même dans le plus heureux des mondes matériels, l’existence est temporellement limitée par la mort, et aucun être ne voit l’infinité de ses désirs réalisés dans la réalité sensible. Au contraire, comme l’existence n’a ni véritable commencement ou fin, c’est bien plutôt dans la compréhension de cette infinité que se trouve le salut véritable. […]En effet, lorsque l’homme libéré réalise la dimension cosmique de son être, il pressent sa puissance de vaincre ici et ailleurs, et devine alors du fond de son Désir présent, la totalité de ce qu’il est, réalisé à travers l’infinité des mondes. L’homme libéré ne se reconnaît désormais plus par son corps actuel. Il ne se comprend que par son Désir intime, cette joie éternelle qui le dépasse complètement.

         Ainsi, l’éternité des essences est non seulement une conséquence inévitable de l’infinité des possibles réalisée, mais cette propriété de l’univers matériel s’accorde et renforce notre idéalisme héroïque. Ce que tu es, en ce monde, par ce corps, c’est la concrétisation d’une des formes d’existence de toi-même. Vois dans cette chance finie et mortelle, l’occasion de graver quelques unes de tes joies dans le cosmos. Cueille le jour sans tarder. La vie périt par le délai. L’éternité n’attend pas. L’éternité, c’est ici et maintenant. Même si ta mémoire et tes sens limités t’empêchent de l’apercevoir clairement, la reconnaissance de l'universalité de la Raison te permet désormais d’entrevoir la totalité du réel et de percevoir la dimension cachée de ton être. La mort est une illusion. Tout est éternel. Il n'y a jamais eu un temps passé où nous n'existions pas, et il n'y aura jamais un futur où nous cesserons d'être. Vois que la peur de ne plus être n’a pas de fondements. Elle ne tient qu’à l’ignorance de la réelle nature des choses. Débarrasse-toi de cette peur absurde, et épanouis ton sentiment d’exister, ici, dans l’éternité.

      Animé par l’amour de la Raison universelle, le sage s’emplit de la joie que lui procure cette existence miraculeuse, au point de ne presque plus ressentir de tristesse face à la mort. Il se comprend et se ressent d’essence divine. Le sort pourra le persécuter et le réduire en poussière, mais rien, ni personne ne peut lui arracher cette vie indépendante qu’il se donne dans les siècles et dans les cieux.»


Extrait de l’amour de la Raison universelle.

 

Le livre l'Amour de la Raison Universelle par le philosophe Willeime



Démocrite et la philosophie indienne

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