l’Eternité des Essences et La Multiplicité de l'Existence
Pour pouvoir suivre l’idée exposée ici, il faut que
le lecteur accorde que l’univers (ou le multivers) est infini et contient une infinité de mondes.
« Bien que notre métaphysique
matérialiste exclut la vie éternelle dans un autre monde, au cas où vous ne
l’ayez pas encore remarqué, elle prédit pour toute chose une certaine forme
d’immortalité. Accrochez-vous, je vous emmène vers des conclusions auquel le
dualisme dominant et sa fable sur l’immatérialité de l’âme ne vous a pas
préparés.
Ayant admis la fausse
identification du soi à l’ensemble de son corps ainsi qu’à la totalité de ses
souvenirs, je me reconnais comme étant mon sentiment d’exister, qui se voit
lui-même se manifester dans un corps sensible, avec des désirs et des souvenirs
associés au temps présent. Cette compréhension de soi-même a une conséquence
extraordinaire. Puisque “je” est un souvenir remémoré, “je” peut exister
au-delà du corps que je perçois en ce moment. Lorsque je m’endormirai ce soir,
je succomberai peut-être en ce monde, mais dans un autre temps, au fond de
lui-même, quelqu’un se souviendra de moi. […]
Etant donné que par mon corps présent, je ne suis actuellement qu’un mode fini
de mon être infini, mes pensées n’ont aucun pouvoir d’action sur ce qui se
passe, de toute façon, ailleurs, dans les autres parties de mon être. Par
conséquent, mes décisions doivent uniquement concerner mon corps présent dans
ce monde fini. La conscience de la multiplicité de son existence n’a pas
d’incidence sur la conduite de sa vie dans la pratique. Cette compréhension ne
change presque rien aux choix que l’esprit doit faire durant ses manifestations
finies. Elle bouleverse en revanche son émotionnel métaphysique, en lui offrant
la chance d’adoucir sa tristesse liée à l’idée de la disparition de son être,
et de tous ceux qu’il a aimés.
La compréhension de l’éternité des essences ne mène pas à une disparition des
sentiments liés à notre finitude, mais elle constitue une invitation à leur
sublimation. L’existence sensible de tout être connu demeure éphémère, et la
limite au champs d’une mémoire humaine laisse à chaque chose aimée, à chaque
événement vécu, une place irremplaçable dans nos souvenirs, et pourtant nous
percevons désormais que nous sommes éternels, et demeurons au-delà de ce que
nous montrent nos sens. La compréhension de la permanence des essences
métamorphose notre rapport au temps. Elle transforme chaque instant vécu en un
fragment d'éternité, engendrant ainsi, une forme de salut immanent ;
c’est-à-dire des sentiments métaphysiques bien différents de ceux généralement
associés à la fable sur la vie après la mort. L'âme éveillée à la conscience de
la totalité du temps n’espère pas un lieu surnaturel pour y poursuivre
indéfiniment l’existence. Ce lieu, elle le possède déjà. Son temple, c’est la
nature ; son sanctuaire, l’univers infini et matériel. Et même si, elle devine
au sein du cosmos renfermant l’infinité des possibilités, l’existence de mondes
où sa vie est merveilleuse, elle ne saurait tenir ces lieux comme
l’aboutissement final de l’existence. Aucune planète n’est indestructible comme
le paradis biblique. Même dans le plus heureux des mondes matériels,
l’existence est temporellement limitée par la mort, et aucun être ne voit
l’infinité de ses désirs réalisés dans la réalité sensible. Au contraire, comme
l’existence n’a ni véritable commencement ou fin, c’est bien plutôt dans la
compréhension de cette infinité que se trouve le salut véritable. […]En effet,
lorsque l’homme libéré réalise la dimension cosmique de son être, il pressent
sa puissance de vaincre ici et ailleurs, et devine alors du fond de son Désir
présent, la totalité de ce qu’il est, réalisé à travers l’infinité des mondes.
L’homme libéré ne se reconnaît désormais plus par son corps actuel. Il ne se
comprend que par son Désir intime, cette joie éternelle qui le dépasse
complètement.
Ainsi, l’éternité des essences est non seulement une conséquence inévitable de
l’infinité des possibles réalisée, mais cette propriété de l’univers matériel
s’accorde et renforce notre idéalisme héroïque. Ce que tu es, en ce monde, par
ce corps, c’est la concrétisation d’une des formes d’existence de toi-même.
Vois dans cette chance finie et mortelle, l’occasion de graver quelques unes de
tes joies dans le cosmos. Cueille le jour sans tarder. La vie périt par le délai.
L’éternité n’attend pas. L’éternité, c’est ici et maintenant. Même si ta
mémoire et tes sens limités t’empêchent de l’apercevoir clairement, la
reconnaissance de l'universalité de la Raison te permet désormais d’entrevoir
la totalité du réel et de percevoir la dimension cachée de ton être. La mort
est une illusion. Tout est éternel. Il n'y a jamais eu un temps passé où nous
n'existions pas, et il n'y aura jamais un futur où nous cesserons d'être. Vois
que la peur de ne plus être n’a pas de fondements. Elle ne tient qu’à
l’ignorance de la réelle nature des choses. Débarrasse-toi de cette peur
absurde, et épanouis ton sentiment d’exister, ici, dans l’éternité. Animé
par l’amour de la Raison universelle, le sage s’emplit de la joie que lui
procure cette existence miraculeuse, au point de ne presque plus ressentir de
tristesse face à la mort. Il se comprend et se ressent d’essence divine. Le
sort pourra le persécuter et le réduire en poussière, mais rien, ni personne ne
peut lui arracher cette vie indépendante qu’il se donne dans les siècles et
dans les cieux.» |
► Démocrite et la philosophie indienne
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