L'origine du Clinamen d'Epicure
une clef pour comprendre le quantique ?
d'après un extrait de l'Amour de la Raison Universelle
"Epicure expliquait que les atomes pouvaient dévier
spontanément de leur trajectoire selon une déclinaison minimale se
produisant en des temps et dans des lieux indéterminés (le clinamen).
Cette idée, assurément la plus étrange de la physique épicurienne,
présente une similitude frappante avec la physique quantique et ce
n’est peut-être pas là juste un hasard. Dans les deux cas,
l’introduction du concept de minimum indivisible, que ce soit l’atome
démocritéen ou les quanta de Max Planck, a chaque fois conduit à la
notion d’indétermination en physique. De façon remarquable, cette idée
permettait à Epicure d’expliquer l’inhomogénéité de l’univers , de la
même façon qu’aujourd’hui les fluctuations quantiques issues de la
phase d’inflation, au moment du big-bang, expliquent l’inhomogénéité de
notre univers. Mais qu’est ce qui a bien pu mener Epicure à cette idée
aussi étrange ? Les sources font défaut, mais nous pouvons tenter de
restituer le type de raisonnement qui a pu le conduire vers ce concept.
Nous avons vu que pour les atomistes de l’antiquité,
l’espace et le temps possèdent aussi une taille minimale. Représentons
donc nous l’espace comme une grille quadrillée. Les objets ne peuvent
exister que sur les intersections du quadrillage mais jamais entre.
Afin de visualiser le mouvement d’un objet à l’échelle atomique,
imaginons un segment d’une dizaine d’unités présentes verticalement sur
ce quadrillage et faisons le tourner à partir de son extrémité
supérieure. Que voyons-nous ? Plusieurs problèmes apparaissent.
Dès lors que le segment pivote légèrement et que son
extrémité inférieure réalise un premier saut de ligne, le segment n’est
plus une ligne droite sur le quadrillage mais devient forcément une
ligne brisée. Cependant, aucune information logique n’indique
précisément ou et quand le saut ligne doit se produire entre les deux
extrémités. En effet, une ligne étant le chemin le plus court entre
deux points, sur le quadrillage il existe désormais plein de chemins
équivalents pour dessiner la ligne brisée. Ainsi tous sont possibles et
la solution demeure indéterminée.
Si l’on poursuit le mouvement de rotation du
segment, selon son orientation cet objet nous apparait tantôt comme une
ligne parfaitement droite et tantôt comme une ligne brisée, nous
montrant que ces deux apparences correspondent en fait à une même
entité physique. Puisque dans le monde atomique, une ligne droite et
une ligne brisée sont en fait la même chose, alors le mouvement
rectiligne contient une indétermination intrinsèque qui peut faire
dévier les atomes d’un saut de ligne aléatoirement à tout moment. On
retrouve le clinamen d’Epicure, qui a donc été probablement inspiré par
une réflexion sur un problème de ce genre.
On remarque également qu’après une légère rotation
du segment, on a du mal à faire parfaitement coïncider son extrémité
avec les intersections de la grille. Comme un point ne peut exister que
sur la grille et pas entre, le meilleur compromis pour représenter la
nouvelle extrémité du segment est de considérer qu’elle devient un
point flou ayant seulement une probabilité d’être d’un côté ou de
l’autre de la ligne.
Les multiples difficultés rencontrées lors de cette tentative de
visualisation du mouvement à l’échelle minimale peuvent expliquer la
défiance de l’école épicurienne envers les mathématiques, jugées
inaptes à rendre compte de la physique atomique. A la lumière des
progrès des mathématiques et la physique, nous pouvons désormais revoir
et corriger cette conclusion et proposer qu’une géométrie quantifiée
contient des indéterminations qui engendrent le temps et permettent le
mouvement. Dès lors, les concepts mathématiques classiques se
métamorphosent complètement et évoluent vers une mathématique très
particulière: la physique.
Proposer que sous le monde physique que nous
connaissons, la réalité est en fait purement mathématique a de nombreux
attraits. Ceci résout le dilemme entre essence et existence, rend
compte de l’extraordinaire efficacité des mathématiques en physique, et
enfin cela offre une explication générale à l'étrangeté de la physique
quantique.
Le monde que nous expérimentons quotidiennement n’est pas le niveau de
base de toute réalité. L’exploration scientifique des niveaux
inférieurs remet en cause nos sens usuel. La physique de l’infiniment
petit nous heurte et nous parait bizarre parce que nous cherchons à lui
appliquer certains des concepts habituels de notre monde macroscopique.
Toutefois, pour le philosophe matérialiste qui ne croit pas que nos
concepts physiques usuels soient fondamentaux, et qui pense que tous
les aspects de notre monde physique émergent avec la complexité, il
n'est pas si surprenant que certaines propriétés de notre monde
quotidien n'existent pas encore à une échelle inférieure. Par exemple,
notre sens commun peut avoir du mal à accepter l’idée qu’une particule
matérielle isolée n’ait pas de température ou encore qu’il existe un
zéro absolu en dessous duquel on ne puisse pas refroidir davantage,
tant que nous n’avons pas compris ce qu’est vraiment la température, à
savoir une propriété supérieure résultant du degré d’agitation des
molécules entre elles, un concept qui n’a donc pas de sens pour une
particule isolée et dont la valeur ne peut plus descendre lorsque les
particules sont immobiles (le zéro absolu : −273,15 °C). De même, à une
échelle inférieure, la matière n’obéit pas encore à la Causalité
mécaniste qui fait rebondir les boules de billard, ni ne possède les
propriétés habituelles du monde visible à notre échelle, mais elle est
régie par une forme plus primitive de Causalité, plus proche de la
logique.
Parmi les transformations les plus importantes
opérées par la théorie quantique se trouve la découverte de phénomènes
apparemment véritablement aléatoires laissant au hasard un rôle majeur
au sein de la réalité. Le hasard et l’indétermination quantique
inauguraient-t-ils le crépuscule de la Causalité universelle ? A bien y
regarder, l’indéterminisme qui entoure les particules élémentaires est
très loin d’être un chaos irrationnel. Les lois de la physique
quantique restent déterministes et montrent que l’indétermination est
statistiquement prédictible, qu’elle obéit à des règles très précises,
parfaitement décrites par le formalisme mathématique de cette théorie.
A la lumière de cette révolution, il apparaît que les notions de
Causalité universelle et de déterminisme omnipotent, longtemps
confondues, sont possiblement en fait deux choses différentes. Le
rationalisme intégral n’implique pas forcément un déterminisme
tout-puissant. Comme le suggère entre autres certains résultats
mathématiques (théorèmes d’incomplétudes) ou encore les tentatives de
reconstruction de la théorie quantique à partir de théories de
l’information , la logique elle-même apparaît quelquefois incapable de
définir complètement toutes les propriétés de certains objets
mathématiques. Si la nécessité issue de la simplicité logique laisse
parfois un certain flou, et que la réalité est la réalisation de la
logique elle-même, alors l’indétermination inhérente au monde quantique
se comprend naturellement. Le hasard serait simplement la manifestation
d’un manque d’information logique, qui rend la nature incapable de tout
définir. Il n’est en rien la manifestation d’une Causalité interrompue
ou transcendante.
Les particules quantiques naissent avec des
propriétés physiques logiquement indéfinies et demeurent dans cet état
flou (la superposition d’états) tant que celui-ci ne pose pas de
contradiction. L’indétermination ne disparait que lorsque le système
auquel elles appartiennent se complexifie suffisamment pour que les
paramètres restés libres se voient forcés de se figer dans un état
défini (la décohérence). Dans le cas du paradoxe EPR, deux particules
intriquées montrent les corrélations prédites même lorsque la sortie de
leur état indéterminée se produit simultanément après qu’elles soient
éloignées l’une de l’autre, révélant qu’elles sont comme reliées par un
lien immédiat . Ce lien est en fait un lien logique. Au contraire d’une
cause physique nécessitant un contact direct entre les objets, une
cause logique dépasse toute contrainte d’espace et de temps et
s’applique à tout objet à travers l’univers. Ainsi, le fait qu’au
niveau fondamental, la matière semble non seulement obéir à une
Causalité physique incomplète, mais également à une Causalité logique
immédiate, capturée par le formalisme mathématique de la théorie
quantique, est là encore un argument en faveur de l’origine
mathématique du monde physique.
Les particules élémentaires ne seraient pas tout à
fait des objets physiques. Ce serait plutôt des entités intermédiaires
entre notre monde macroscopique et le niveau fondamental qui est
purement mathématique. D’autres objets comme les particules fantômes,
dépourvues de masse et d’énergie, et qui se manifestent dans le vide
quantique à la frontière de la réalité physique s’accordent également
avec le paradigme pythagoricien qui dit que la matière descend en fait
plus ou moins directement des nombres.
Le concept d’une réalité mathématique primordiale au
sein duquel la réalité physique émergerait progressivement par
construction et auto-complexification semble ainsi s’accorder avec les
phénomènes quantiques les plus étranges. Cette idée générale est
probablement la clef conceptuelle requise pour correctement comprendre
le monde de l’infiniment petit."
► Univers parallèles: leurs significations pour la question du déterminisme