Le "Clinamen" ou la déviation d'Epicure 

 

  A la vision classique du matérialisme présente chez Démocrite, Epicure ajoute l'idée qu'il existe une déviation aléatoire minimale des atomes en des temps et en des lieux indéterminés (le clinamen).

« Les atomes descendent bien en ligne droite dans le vide, entraînés par leur pesanteur ; mais il leur arrive, on ne saurait dire où ni quand, de s'écarter un peu de la verticale, si peu qu'à peine peut-on parler de déclinaison »
Lucrèce, De la nature des choses, Chant II.



          l'Origine du clinamen... et de la physique quantique

Cette idée, assurément la plus étrange de la physique épicurienne, présente une similitude frappante avec la physique quantique et ce n’est peut-être pas là juste un hasard. Dans les deux cas, l’introduction du concept de minimum indivisible, que ce soit l’atome démocritéen ou les quanta de Max Planck, a chaque fois conduit à la notion d’indétermination en physique. De façon remarquable, cette idée permettait à Epicure d’expliquer l’inhomogénéité de l’univers , de la même façon qu’aujourd’hui les fluctuations quantiques issues de la phase d’inflation, au moment du big-bang, expliquent l’inhomogénéité de notre univers . Mais qu’est ce qui a bien pu mener Epicure à cette idée aussi étrange ? Les sources font défaut, mais nous pouvons tenter de restituer le type de raisonnement qui a pu le conduire vers ce concept dans cet extrait de l'Amour de la Raison Universelle disponible ici.


Le Clinamen et l'origine des mondes

Dans un fragment de « de la nature livre XXV », Epicure dit que la nécessité est insuffisante pour expliquer la création des mondes, sinon le cosmos serait entièrement homogène. Comme les atomes tombent en ligne droite dans le vide à la même vitesse, il n'y aurait jamais eu de choc. Le clinamen est donc un phénomène qui vient créer le désordre nécessaire à la création des mondes.
        On peut voir  dans l'idée du clinanem une anticipation de l'aléatoire décrit par la mécanique quantique... mais mieux encore, la théorie du big-bang produit aujourd'hui une conclusion comparable à celle d'Epicure concernant la création des mondes. Les fluctuations quantiques originelles encore perceptibles dans le rayonnement fossile du Big-Bang ont brisé l'homogénéité pendant la phase d'inflation ce qui a eu pour conséquence la formation des galaxies, étoiles... Sans ces fluctuations aléatoires originelles, l'univers serait homogène et ne nous aurait pas engendré.


    Une violation de la Causalité ? Certains commentateurs voient dans cette idée une violation de la Causalité, ce qui exclurait Epicure des représentants du rationalisme intégral. Une lecture attentive des textes montre toutefois que pour les épicuriens, cet effet aléatoire n'est pas une violation des lois de la physique, ni même de la Causalité. En effet, Lucrèce nous le présente comme « une autre cause de mouvement que les chocs et la pesanteur », et voit un lien entre cette capacité et la spontanéité animal ou la liberté humaine. Un texte de Cicéron est intéressant sur ce sujet, car il fait à un moment un raisonnement certainement très proche de celui qui incita Epicure à produire une telle idée:

« Lorsque nous disons que l'âme agit sans cause, nous entendons sans cause externe et précédente, mais non pas sans cause absolument. A ce compte on pourrait dire de l'atome lui-même qui est emporté dans le vide par son propre poids, qu'il se meut sans cause, puisque son mouvement n'est déterminé par aucune cause externe. Mais les physiciens, nous entendant prononcer ces mots d'effets sans causes, vont se rire de nous; hâtons-nous de distinguer, et de leur dire: Il est compris dans la nature même de l'atome que son propre poids l'entraîne; et c'est là la cause de son mouvement. Par une raison semblable, il ne faut pas chercher de cause externe au mouvement volontaire de l'âme ; car la nature du mouvement volontaire implique qu'il soit en notre puissance et dépende de nous; il n'est donc point sans cause, car la cause que vous cherchez, c'est sa nature même. »
Cicéron, du Destin, XI

 

La paternité du concept: Il est étrange qu’Epicure n’ait pas fait mention du clinamen dans la lettre à Hérodote, ce qui a conduit certains à penser que cette idée est l’invention non d’Epicure, mais de Lucrèce ou d’épicuriens tardifs. Cependant Cicéron (Des fins, I) et l’épicurien Diogène d’Oenanda (fragment n°54; Démocrite DK A-L; EP p429) mentionnent tous deux le clinamen et l’attribuent à Epicure, en confirmant que l’idée n’était pas chez Démocrite. Epicure semblerait donc bien l’inventeur du clinamen. Il est toutefois possible que cette idée ait pris plus d’importance qu’elle n’en avait initialement. Remarquons en effet qu’Epicure ne l’utilise pas pour réfuter le fatalisme, auquel il répond : “La nécessité est un mal, il n'y a aucune nécessité de vivre sous l'empire de la nécessité” ce qui est un argumentant suffisant et compréhensible par les tenants de la nécessité.

   

 

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