Les origines philosophiques du Culte de la Raison
la religiosité naturelle des rationalistes
Pendant la révolution Française un culte de la Raison fut célébré
dans des églises transformées alors en temple de la Raison. La déesse
Raison représentée par une jeune femme, était accompagnée du dieu
Progrès et des prêtresses de la Philosophie. Dans le même esprit, le calendrier chrétien fut aboli et remplacé par le calendrier
républicain dédié à la nature. Les prénoms n’étaient plus ceux de
saints, mais ceux de fruits, d’arbres ou de plantes.
Sur cette page, je
montre que cette tentative n'est pas isolée dans l'histoire, mais
qu'elle correspond à un mouvement de fond présent dans presque tout le
courant de la philosophie rationaliste, et répond à l'objectif énoncé par
Ludwig Feuerbach: « Pour remplacer la religion, la philosophie doit en tant que philosophie devenir religion » (nécessité d'une réforme de la philosophie).
Les épicuriens furent accusés d’athéisme dissimulé et pour cause,
leur conception avait vidé la religion de son contenu. Pourtant, ils semblent bien avoir pratiqué une forme de religiosité
naturelle, où ils se plaisaient à prononcer fréquemment les noms des Dieux:
« Epicure observait toutes les formes de culte et enjoignait ses amis de les
observer, non seulement en raison des lois, mais pour des causes
naturelles » (d’après Philodème de Gadara, Us 13).
Lucrèce nous éclaire à ce sujet: « La piété, ce n'est pas se
montrer à tout instant la tête voilée devant une pierre, ce n'est pas
s'approcher de tous les autels, ce n'est pas se prosterner sur le sol la paume
ouverte en face des statues divines, ce n'est pas
arroser les autels du sang des animaux, ni ajouter les prières aux prières ;
mais c'est bien plutôt regarder toutes choses de ce monde avec sérénité » V, 1197 à 1202
Au XVIIe siècle,
la même accusation d'athéisme dissimulé fut portée contre Spinoza, qui
utilise pareillement le vocabulaire religieux en l'ayant vidé de son
sens commun : « Le Désir de faire du bien qu'engendre en nous le fait que nous vivons sous la conduite de la raison, je l'appelle Piété » (Ethique IV, 37, scolie I). Ce choix linguistique correspond effectivement à un choix tactique, mais pas seulement. Elle est consubstantielle du
rationalisme métaphysique qui tend à l'absolu. Le panthéisme rationaliste de Spinoza constitue la matrice des lumières, et il a influencé jusqu'à Rousseau et Robespierre lorsque ce dernier déclara « Le véritable prêtre de l’Etre Suprême, c’est la Nature, son temple, l’univers, son culte, la vertu » (Discours du 18 floréal, An II).
Le rationalisme métaphysique est
différent des mouvement du XIXe siècle, positivisme et scientisme, qui
ont une approche essentiellement pragmatique et utilitariste de la
Raison, mais ceci n'empêcha pas Auguste Comte de tenter lui-aussi de
fonder une religion civile. On trouve d'autres résurgences ponctuelles
de la religion
de la Raison, notamment dans un texte d'Emile Chartier, dit Alain, écrit sous la IIIe République et intitulé “Le culte de la raison comme fondement de la République”:
« Je vois que la Raison est éternelle […], et qu’elle est le
vrai Dieu, et que c’est bien un culte qu’il faut lui rendre. […] Les
hommes sentent bien tous confusément qu’il y a quelque chose de supérieur,
quelque chose d’éternel à quoi il faut s’attacher, et sur quoi il faut régler
sa vie. Mais ceux qui conduisent les hommes en excitant chez eux l’espoir et la
crainte leur représentent un Dieu fait à l’image de l’homme, qui exige des
sacrifices, qui se réjouit de leurs souffrances et de leurs larmes, un Dieu
enfin au nom duquel certains hommes privilégiés ont seuls le droit de parler.
Un tel Dieu est un faux Dieu.
La
Raison, c’est bien là le Dieu libérateur, le Dieu qui est le même pour tous, le
Dieu qui fonde l’Égalité et la Liberté de tous les hommes, qui fait bien mieux
que s’incliner devant les plus humbles, qui est en eux, les relève, les
soutient. Ce Dieu-là entend toujours lorsqu’on le prie, et la prière qu’on lui
adresse, nous l’appelons la Réflexion. C’est par la Raison que celui qui
s’abaisse sera élevé, c’est-à-dire que celui qui cherche sincèrement le vrai,
et qui avoue son ignorance, méritera d’être appelé sage.
Aujourd'hui
ce type d'idée existe principalement chez les théoriciens de la physique. En 1988,
dans sa Brève Histoire du temps, le physicien Stephen Hawking écrivait:
«Si nous découvrons une théorie complète [sur l’univers], ce sera le
triomphe ultime de la raison humaine – dès lors nous connaîtrons la
pensée de Dieu».
Stephen Hawking paraphrase ici l'expression "pensée de Dieu" d'Einstein (voir l'Amour de la Raison Universelle), qui provient de la philosophie spinoziste manifestée par Einstein,
qui a eue une grande influence sur ses collègues, mais a aussi conduit à de
nombreuses erreurs de compréhension de la part du grand public
concernant les réelles opinions religieuses de ces scientifiques.
► Einstein, Dieu et la Religiosité Cosmique
► Unité de Dieu et de la Nature dans le Panthéisme Gréco-Romain et chez Spinoza
► De la Destruction du Paganisme à la Renaissance du Panthéisme
► Einstein sur Spinoza
► Page principale du site du philosophe Willeime