Einstein, Dieu et la religiosité
cosmique
page extraite de "l'Amour de la Raison Universelle"
Beaucoup déclarent qu’Einstein croyait en Dieu. A l’aide de quelques citations, je fais d’abord voir qu’Einstein ne croyait pas en Dieu, rejetait le spiritualisme, le mysticisme, la providence, les livres sacrés, les institutions religieuses et condamnait les tentatives de fonder la morale sur la croyance. Dans un deuxième temps, je fais voir en quoi consiste ce qu’il appelait sa « religiosité cosmique ».
« Le mot
Dieu n'est pour moi rien de plus que l'expression et le produit des faiblesses
humaines, la Bible un recueil de légendes, certes honorables mais primitives
qui sont néanmoins assez puériles. Aucune interprétation, aussi subtile
soit-elle peut selon moi changer cela »
Albert Einstein, lettre au philosophe Eric Gutkind, 3 janvier 1954 (EA
59-897)
« C’est
un mensonge ce que vous avez lu sur mes convictions religieuses, un mensonge
qui est systématiquement répété. Je ne crois pas en un Dieu personnel et n’ai
jamais dit le contraire, mais l’ai exprimé clairement »
Albert
Einstein, lettre à un athée, le 22 mars 1954 (EA 39-525). (Einstein the human side p. 43)
« Du point de vue du prêtre, je suis, bien sûr, et ai toujours été
un athée »
Albert Einstein, lettre
à Guy H. Raner Jr,
2 Juillet 1945, Skeptic, 1997, 5(2):62.
« La
réponse à vos questions remplirait des livres. Je ne peux que dire en quelques
mots que j'ai exactement la même opinion que Spinoza et que en tant que
déterministe convaincu, je n'éprouve aucun sympathie pour la conception
monothéiste »
Albert Einstein au rabbin A.Geller Brooklyn, 4 sept 1930. (cité par Michel Paty dans « Einstein et Spinoza »)
« Celui qui est convaincu par la loi causale régissant tout
événement ne peut absolument pas envisager l’idée d’un être intervenant dans le
processus cosmique » « Je ne peux pas imaginer un Dieu qui récompense
et punit l'objet de sa création. Je ne peux pas me figurer un Dieu qui
réglerait sa volonté sur l'expérience de la mienne. Je ne veux pas et je ne
peux pas concevoir un être qui survivrait à la mort de son corps. Si de
pareilles idées se développent en un esprit, je le juge faible, craintif et
stupidement égoïste »
Albert
Einstein, Comment je vois le monde,
religion et science, The New York Times
Magazine, 9 novembre 1930.
« La vérité
religieuse ne signifie rien pour moi »
Albert
Einstein, interview pour Kaizo 5 n°2, 1923 le 14 décembre 1922. (Ideas and
opinions
p. 261, New quotable
p.194)
« Pourquoi m’écris-tu Dieu devrait punir les anglais ? Je n’ai aucune connexion particulière ni avec l’un ni avec
les autres. Je vois seulement avec grands regrets que Dieu punit nombre de ses enfants
à cause de leurs innombrables stupidités, pour lesquelles lui seul peut être
tenu pour responsable ; de mon point de vue, seul sa non-existence
pourrait l’excuser »
Albert Einstein, lettre à Edgar
Meyer, 2 Janvier 1915. CPAE Vol. 8, doc 44., New quotable
p.193
« A
travers la lecture de livres de vulgarisation scientifique je suis vite
parvenue à la conviction que la plupart des histoires de la Bible ne pouvaient
pas être vraies. La conséquence fut une orgie fanatique de libre pensée associée
à l'impression que la jeunesse est intentionnellement trompée par l'État par le
biais de mensonges, c'était une impression d'écrasement. Une méfiance à l'égard
de tout type d'autorité a résulté de cette expérience, une attitude sceptique
envers les convictions présentes dans n’importe quel milieu social - une
attitude qui depuis ne m’a jamais quitté… »
Albert Einstein, Autobiographical Notes, extrait de Philosopher-Scientist
« La tendance mystique de notre temps, qui se montre
particulièrement dans la croissance galopante de la soi-disant théosophie et du
spiritualisme n’est pour moi rien de plus qu'un symptôme de faiblesse et de
confusion. Etant donné que notre expérience intérieure consiste en des
reproductions et des combinaisons d'impressions sensorielles, le concept d'une
âme sans corps me semble être vide et dénué de sens. »
Albert Einstein, réponse en 1921. Einstein the human side p. 39/40. New quotable
p.275
« Le Dieu
Juif [..] est la tentation de
fonder la morale sur la crainte, une attitude déplorable et dérisoire »
Albert
Einstein, Comment je vois le monde,
« y a-t-il une conception juive du monde ? »
« La
condition des hommes s’avérerait pitoyable s’ils devaient être domptés par la
peur d’un châtiment ou par l’espoir d’une récompense après la mort”. “Le
comportement moral de l’homme se fonde efficacement sur la sympathie et les
engagement sociaux, il n’implique nullement une base religieuse ».
Albert
Einstein, Comment je vois le monde,
religion et science, The New York Times
Magazine, 9 novembre 1930.
« C’est
bien possible que nous puissions faire des choses meilleures que Jésus, car ce
qui est écrit sur lui dans la bible est poétiquement embelli »
Albert
Einstein, cité dans W. I. Hermanns "A
Talk with Einstein," Octobre 1943, EA 55-285. New quotable
p.205
« A propos de Dieu, je ne peux
accepter aucun concept fondé sur l'autorité de l'Église. A ce que je me
souviens, j'y ai ressenti une endoctrination de
masse. Je ne crois pas à la peur de la vie, à la crainte de la mort, ni à la
foi aveugle ».
Albert Einstein, cité dans W. I. Hermanns p132. Max Jammer Einstein and religion p.123.
« Je suis convaincu
que certaines pratiques et activités politiques des organismes catholiques sont
nuisibles et même dangereux pour la communauté dans son ensemble, ici et
partout dans le monde. Je mentionne ici seulement la lutte contre le contrôle
des naissances à un moment où la surpopulation dans les différents pays est
devenue une grave menace pour la santé des populations et une grave obstacle à
toute tentative d'organiser la paix sur cette planète »
Albert Einstein, New quotable p. 253.
« Dans
leur lutte pour le bien moral, ceux qui enseignent la religion doivent avoir la
stature de renoncer à la doctrine d'un Dieu personnel, c'est-à-dire renoncer à
cette source de crainte et d'espoir qui, dans le passé a mis un si vaste
pouvoir dans les mains des prêtres. Dans leurs travaux, ils devront se servir
de ces forces qui sont capables de cultiver le bon, le vrai et le beau dans
l'humanité elle-même. C'est, bien sûr, une tâche bien plus difficile mais
incomparablement plus noble. Après que les professeurs en religion aient
accomplit ce processus d’affinement indiqué, ils ne manqueront pas de
reconnaître avec joie que la vraie religion a été anoblie et rendue plus
profonde grâce à la connaissance scientifique. " […] "Plus
l’évolution spirituelle de l'humanité progresse, plus il me semble que le
chemin de la religiosité authentique ne se trouve pas dans la peur de la vie,
la peur de la mort, ou la foi aveugle, mais dans l’effort pour la connaissance
rationnelle. En ce sens, je crois que le prêtre doit devenir un enseignant s'il
veut rendre justice à sa noble mission éducative ».
Albert Einstein, ideas and opinions p. 49,
science and religion.
La « Religiosité cosmique » d’Einstein
Einstein se disait "religieux" au sens de Spinoza, un thème
abordé et développé dans l’essai « l’Amour
de la Raison Universelle ». Spinoza est le plus rationaliste de tous
les grands philosophes. Il rejette l’existence d’une quelconque entité
surnaturelle et
peut donc être considéré comme le
père de l’athéisme moderne. Toutefois, à son époque Spinoza ne
proposait pas
ouvertement l’athéisme, mais plutôt le retournement de la religion en
une conception philosophique qui ne contient plus aucun dogme, ni
aucune idée
irrationnelle. C’est ce qui a plu à Einstein qui utilise comme Spinoza
le
vocabulaire religieux dans un sens poétique. Les citations suivantes
font la
démonstration que ce que Einstein entend par les mots « Dieu »,
« religion », « miracle » « intelligence
supérieur »..., lorsqu'il les utilisent dans un sens positif, est
très différent de ce que l’on entend habituellement
par ces termes.
Remarque: On
trouvera encore d'autres propos célèbres où Einstein déclare qu'il veut découvrir "les pensées de Dieu", expression là
encore métaphorique pour dire qu'il ambitionnait de parvenir
à la
compréhension la plus fondamentale des lois de la physique. De même, quand il déclare que
"Dieu ne joue pas aux Dés", il n'affirmait pas une croyance en
l'existence du Dieu des croyants, mais voulait seulement dire
poétiquement que la nature suit des lois
déterminées....
le Dieu d’Einstein = « la nécessité issue de la simplicité logique »
« Ce qui
m'intéresse vraiment c'est de savoir si Dieu avait un quelconque choix en
créant le monde, c’est à dire, si l'exigence de simplicité logique laisse ou non un
quelconque degré de liberté. »
Albert Einstein, à son assistant
Ernst Straus (cité par Carl Seelig, Helle Zeit-Dunkle Zeit, p72). Max Jammer Einstein and religion
p. 124. New quotable p.
209
« Il me semble que l’idée d’un
Dieu à forme humaine est un concept que je ne peux prendre sérieusement. Je ne
me sens pas non plus capable d’imaginer une volonté ou un but hors de la sphère
humaine. Mes vues sont proches de Spinoza: admiration de la beauté et
croyance en la simplicité logique de l’ordre et de l’harmonie que nous ne
pouvons saisir qu’humblement et imparfaitement. Je pense que nous devons nous
contenter de notre savoir et notre compréhension imparfaite, et traiter les
valeurs et les obligations morales comme un problème purement humain, le
problème humain le plus important. »
Albert
Einstein, lettre à Murray W. Gross, 26 Avril
1947, Max Jammer Einstein and religion
p138
« Je crois au Dieu de Spinoza qui
se révèle lui-même dans l'ordre harmonieux de ce qui existe, et non en un Dieu
qui se soucie du destin et des actions des êtres humains. »
Albert Einstein, réponse
au rabbin Herbert S. Goldstein, télégramme, 1930
Remarques
de vocabulaire: pour rappel, il n'y a pas d'harmonie morale dans la nature pour
Spinoza (Ethique, I, appendice), ni même d'harmonie esthétique, le mot harmonie est ici à comprendre dans le sens
particulier des physiciens théoriens. Cette harmonie dont
Einstein parle ici c'est une formule consensuelle pour parler de la simplicité logique. On parle aussi désormais plus fréquemment de beauté de certaines théorie. (C'est
une notion qui existe en physique et en mathématique.
Pour vous faire saisir cette notion, je vous propose un exemple très facile à
comprendre issue des mathématiques. Vous connaissez le
nombre pi (qui est
lié au cercle) et le nombre e (qui définit logarithme naturel). Ce sont
deux nombres qui n'ont à priori rien à voir entre eux,
et qui possèdent une infinité de décimales, sans structure
répétée, donc ce sont des nombres qui contiennent chacun une complexité
infinie, qui semblerait devoir leur conférer un caractère
irréductible... et pourtant cette formule d’Euler montre, qu’on peut
les relier entre eux par cette simple équation. Cela veut dire que l'on
peut calculer l’un de
ces nombres à partir de l’autre. Ce ne sont donc pas des entités
impénétrables, mais ces nombres sont liés entre eux par une logique
sous-jacente plus profonde qui les engloble.
On a la même chose en physique. Plus une théorie
physique est capable d'expliquer très profondément des phénomènes
complexes en reposant sur des principes logiques simples, plus
elle est dite belle. Donc cette beauté, cette simplicitié, cette harmonie dont parle
Einstein c'est la capacité de la théorie à connecter des entités
indépendantes qui deviennent tout à coup reliés entre elles au sein
d’un tout parfaitement cohérent. L'espace, le temps, la matière et
l’énergie semblent quatre notions tout-à-fait différentes et
indépendantes et pourtant on découvre qu’elles sont reliées entre elles
grâce sa théorie. L'un des meilleurs autres exemples en
physique, c'est l'équation de Dirac qui combine la mécanique quantique
et la relativité restreinte et qui prédit alors tout à coup à la fois
l'antimatière et le spin. Ce type d'harmonie suggère que la réalité
n'est pas constituée d'entités irréductibles et impénétrables à
l'esprit humain, mais que la nature ne forme qu'un seul grand-tout
cohérent, où tout est relié par une seule et même logique sous-jacente.
Et c'est cette logique profonde et universelle dans les structures du
réel qu’Einstein appelle le Dieu de Spinoza auquel il affirme « croire
».
Mise au point sur le mot croire. Quand Einstein dit "Je crois en Dieu de Spinoza" il ne faut pas voir une
croyance, au sens de la foi aveugle. Son "je crois" signifie
seulement "je pense que". C'est une opinion philosophique
construite sur une compréhension qui amène à privilégier
une hypothèse cohérente quant à la nature profonde de la réalité.
Au contraire, la foi religieuse c'est l'invocation d'un droit de dépasser et de s'affranchir de la
raison au nom d'un prétendu
ordre surnaturel. "Je crois par ce que
c'est absurde" disait Tertullien. La foi religieuse c'est s'autoriser à
prendre des produits de l'imagination pour des vérités par effet de la superstition,
contre toute évidence logique ou scientifique, par folie ou par lâcheté
face au réel et de se mettre alors à prendre ses désirs pour
des réalités. Du point de vue des religions traditionelles, Einstein est un incroyant.
l'esprit/l'intellect de Dieu = l'ordre intelligible de la nature
« Ma compréhension
de Dieu provient de la profonde conviction d'une intelligence supérieure qui se
révèle elle-même dans le monde connaissable. En termes communs, on peut la
décrire comme «panthéiste» (Spinoza). »
Albert
Einstein, Ideas and
opinions
p. 262
L'expression
"intelligence supérieure" est un vocabulaire dérivé de "l'intellect de
dieu" chez Spinoza pour désigner l'ordre intelligible de la
nature, mais à proprement parler il n y a pas d'intellect de dieu (il
n'y a pas de volonté de dieu, ni de but ou de fin dans la nature, dieu
n'est pas une conscience et encore moins une personne ou un juge), donc
ces expressions sont juste des métaphores chez Spinoza et chez Einstein
pour parler de l'ordre intelligible de la nature.
"pour dire ici quelque chose aussi de l'entendement et de la
volonté que nous attribuons communément à Dieu, [...] il faut entendre
[..] autre chose certes que ce que les hommes ont coutume de faire [et
qui n'a] d'autre convenance que de nom, c'est-à-dire comme il y a
convenance entre le chien, signe céleste, et le chien, animal aboyant."
Spinoza, Ethique, I, XVII.
D'une certaine manière j'admets moi-aussi (chapitre La Vie, Intelligence) qu'à travers la vie, la nature peut être dite intelligente, mais ce n'est pas de l'intelligent design.
Dans plusieurs autres textes, Einstein commence par rappeler qu'il ne croit pas en l'existence en un « Être surnaturel » qui intervient dans la la nature mais qu'il perçoit la manifestation d'un « "Geist" infiniment supérieur » à celui de l'homme qui se manifeste à travers les lois de la nature et que nous ne comprenons qu'imparfaitement.
Albert
Einstein, lettre M. Schayer, le 1er août 1927. Cité dans Dukas et Hoffmann,
Albert Einstein, the Human Side, 66, (et dans sa nécrologie dans le New
York Times du 19 avril 1955. Archives Einstein 48-380)
Le
mot "Geist" est un terme allemand difficile à traduire en français. On
le traduit généralement par "esprit" mais cela signifie aussi
«aspiration à l’unité» et c'est plutôt dans ce sens qu'il faut
le comprendre, car le Dieu de Spinoza n'est pas une entitée
spiritualiste, mais c'est ce qui unifie la réalité en un tout cohérent.
Si l'on tronque la citation où juste avant Einstein rejette l'Etre surnaturel, etsSi l'on traduit Geist par esprit alors on
fait on peut faire croire qu'Einstein
affirme qu'il croit en un être surnaturel. Voilà la méthode des
croyants lorsqu'ils citent Einstein... Donc méfiez-vous de ce genre de
citations qui
circulent sur Einstein: «quiconque
est sérieusement engagé dans la poursuite de la science devient
convaincu que les lois de la nature manifestent l'existence d'un esprit
largement supérieur à celui des hommes» (Albert Einstein, lettre à Phyllis Wright (une enfant de 11-12 ans). EA 52-337. ER p93).
Cette citation tronquée et à la traduction problématique est trompeuse (difficilement traduisible hors de l'allemand).
D'autre part, il faut aussi préciser qu'ici Einsiten s'adresse à une enfant de 11-12 ans or lorsqu'Einstein s'adresse à des
enfants ou au grand-public, il utilisé des métaphores au lieu de parler
de simplicité logique ou d'ordre intelligible. Si l'on veut réellement comprendre ce que
pensait Einstein, il ne faut pas s'en tenir aux métaphores qu'il
utilise avec les enfants, mais il faut privilégier ses propos avec des
philosophes et des scientifiques.
« Le
malentendu est dû à une mauvaise traduction du texte allemand, en particulier
l'emploi du mot «mystique». Je n'ai jamais imputé à la Nature un but ou un
objectif, ou tout ce qui pourrait être compris comme anthropomorphe. Ce que je
vois dans la nature est une magnifique structure que l'on peut comprendre que
très imparfaitement, et qui doit remplir un penseur du sentiment « d’humilité ».
Il s'agit d'un véritable sentiment religieux qui n'a rien à voir avec le
mysticisme »
Albert Einstein. Einstein the human side p. 39.
Note: le mot humilité est entre guillemet dans le texte original d'Einstein car il a utilisé le terme anglais "humility" et pas allemand "demut". La raison de ce choix n'est pas claire, en revanche ce que je peux dire c'est que l'humilité n'est pas une vertu pour Spinoza. Un mot plus juste aurait à mon avis plutôt été ici "fascination". Ce qui fonde la religiosité cosmique ce n'est pas l'humilité qui est liée à l'incapacité du croyant devant dieu transcendant, mais au contraire la religiosité cosmique c'est le sentiment de puissance lié à la capacité de l'esprit humain à toucher l'absolu. Le choix du mot humilité ici introduit donc un contre-sens philosophique ; mais bon, Einstein n'était pas dans l'humilité quand il a déclaré qu'il voulait "comprendre les pensées de Dieu", ni même dans sa jeunesse, où il avait un tel sentiment de supériorité, que cela lui a vallu de se faire exclure de tous les laboratoires de physique et qu'il s'est retrouvé au bureau des brevets.
Einstein a également dit « Le fait que le monde soit intelligible
est un miracle »
Albert
Einstein, Lettre à Maurice Solovine,
30 mars 1952.
Note : Effectivement, on ne peut pas expliquer l'intelligiblié du réel sans être soi-même dans un discours intelligible. On ne peut pas parler sans avoir soi-même déjà le logos avec soi. Le mot miracle est ici encore une allégorie. Il évoque le statut non-démontrable de l'intelligibilité mais cela ne renvoit pas à une transcendance. Je ne vais pas dévelloper davanatage ce point complexe ici. Pour une discussion approfondie, je renvoie ceux qui sont intéressés à mon ouvrage.
Einstein
a été critiqué pour ses métaphores, qui favorisent
sa récupération par les croyants. Lorsque son
ami Maurice Solovine qui était un philosophe athée découvre certaines de ses déclarations,
il lui écrit pour lui dire qu'il n'a pas les mêmes opinions que lui sur
la religion
or la réaction d'Einstein est ici intéressante. Einstein lui répond:
"Je suis curieux de savoir jusqu'à quel point nos opinions sur la
religion diffèrent. Je ne peux pas me figurer que nos opinions puisse
quant au fond s'écarter d'une manière quelconque l'une de l'autre. S'il
en est ainsi, je me suis probablement mal exprimé"
Albert
Einstein, Lettre à Maurice Solovine, 10 juillet 1950.
Donc Einstien accorde lui-même qu'il s'est parfois exprimé
maladroitement sur les questions religieuses et donc il faut étudier
les précision qu'il apporte lui-même si l'on veut réellement le
comprendre. La
corespondance avec Solovine est une source de premier choix car
Einstien et Solovine se connaissent très bien. Solovine faisait parti
de son club de réflexion philosophique surnommé académia olympia. C'était un étudiant en philosophie qui voulait se perfectionner en apprenant la physique et qui avait rencontré Einstein.
et dans les lettres suivants il nous dit: « nous devons nous contenter de reconnaître le
« miracle » (de l'intelligibilité du réel) sans qu’il y ait une voie légitime pour aller au-delà. Je
me vois forcer d’ajouter cela expressément, afin que vous ne croyiez pas que –
affaibli par l’âge – je sois devenu une proie des curées »
Albert
Einstein, Lettre à Maurice Solovine,
30 mars 1952.
La religion d’Einstein = « La foi
dans la nature rationnelle de la réalité »
« Je peux comprendre votre
aversion pour le mot “religieux” pour décrire l’attitude émotionnelle et psychologique
qui se révèle le plus clairement chez Spinoza. Je n’ai pas trouvé de meilleur
mot que “religieux” pour la foi dans la nature
rationnelle de la réalité qui est, au moins partiellement accessible à
la raison humaine. Dès lors que ce sentiment est perdu, la science dégénère en
un empirisme dépourvu d’inspiration. Je me fiche comme de l’an quarante
si les curés en battent monnaie. Il n’y a d’ailleurs pas de remède à
cela. »
Albert
Einstein, Lettre à Maurice Solovine,
1 janvier 1951
« La
science ne peut être créée que par ceux qui sont complètement imprégnés par
l'aspiration vers la vérité et la compréhension. La source de ce sentiment,
toutefois, provient de la sphère religieuse. D’elle provient la foi dans la
possibilité que les lois valables pour le monde de l'existence sont
rationnelles, c'est-à-dire compréhensible à la raison. Je ne peux pas concevoir
un véritable scientifique sans cette foi profonde. La situation peut être
exprimée par une image: la science sans religion est boiteuse, la religion
sans science est aveugle »
Albert Einstein, ideas and opinions, science
and religion.
Note:
La religion dont parle Einstein ici dans un sens positif c'est la
religion de Spinoza. C'est une religion philosophique opposée aux
religions dogmatiques des croyants.
[Au cours de son entretien avec Tagore, celui-ci
déclare que la beauté et de la vérité
sont relatives]
Einstein: « Je suis
d’accord avec cette conception de la beauté mais pas de la vérité. Je ne peux
pas te prouver que j’ai raison, c’est ma religion…s'il y a une réalité
indépendante de l’homme, il y a aussi une vérité dépendante de cette réalité,
et de la même façon, la négation de la première engendre une négation de la
seconde. »
Tagore: « s'il devait y
avoir une vérité qui n’a aucune relation sensorielle ou rationnelle avec
l’esprit, alors elle resterait un néant tant que nous restons des êtres
humains »
Einstein: « Et bien, je
suis plus religieux que toi ! »
Albert
Einstein, entretien avec Tagore.
Note: Pareillement, pour Spinoza, l’esprit religieux consiste à reconnaître
la vérité objective et intangible de la réalité physique matérielle, au contraire « la croyance aux miracles
devrait conduire au doute universel et à l’athéisme » (TTP chap
VI.).
En effet, si l'athéisme c'est l'empirisme sceptique, le positivisme, le nietzschéisme, le subjectivisme de Sartre ou le relativisme généralisé,
alors oui Einstein n'est pas athée et dans cette définition de l'athéisme, moi non plus ! Pour
nous, il y a une
vérité absolue objective. Il y a des invariants indépendants
de l'observateur dans la théorie de la relativité. Einstein avait
également répondu aux physiciens spiritualistes: "J'aime penser que la
lune est là même
si je ne la regarde pas". Et
dès lors que l'on introduit un absolu, les sceptiques diront qu'on est
domatique et qu'on introduit un dieu, donc dans ce
sens, et strictement dans ce sens, nous assumons que nous ne sommes pas comme les athées que je viens de citer, et que pour nous il y a un absolu c'est-à-dire donc un dieu. Mais ce dieu, qui est celui de Spinoza, c'est le dieu des rationalistes, C'est le principe qui sous-tend l'unité et la cohérence de la réalité.
Grâce à lui, la réalité n'est pas un chaos informe où tout se vaut,
mais il y a une vérité. Cette
conception naturaliste et rationaliste contient donc un absolu, que
l'on peut appeler Dieu, mais celui-ci n'a rien à voir avec les dogmes irrationnels associés aux religions abrahamiques, ni même avec une vague forme de déisme.
Donc
oui, on peut dire que du point de vue philosophique Einstein n'est pas un athée, mais que les
croyants ne se réjouissent pas trop vite car lorsque l'on dit cela il
ne faut pas
croire que sa conception laisse plus d'espace à la croyance. Bien au
contraire ! Si
au sens philosophique Einstein n'est pas un athée, en revanche
vis-à-vis des croyants le spinozisme porté par Einstein représente un
stade d'incroyance et de négation du bon dieu transcendant des religions plus avancé
encore que le simple athéisme. Einstein
a parfois laissé entendre qu'il était agnostique mais il confond
l'absence de certitude absolue, la prudence épistémologique avec
l'agnosticisme. En fait, il n'est pas du tout agnostique dans ses analyses sur
dieu. L'agnosticisme que certains appellent parfois athéisme faible, c'est la position de ceux qui ne trouvent pas de raison de croire, mais qui
respectent le concept du dieu des religions comme une hypothèse potentiellement valable. Nous
avons vu que pour Einstein le concept du bon dieu transcendant tout
puissant
est une absurdité (c'est comme parler d'un rond carré, cela n'a pas
d'essence donc pas d'existence). Sur ce
point, il raisonne comme les athées du siècle des Lumières.
Et pour Einstein, non
seulement le dieu des religions traditionnelles est un concept
illogique mais Einstein fait également la déconstruction de l'idée de
dieu dans la
psychologie humaine comme Feuerbach et Nietzsche. Et pourtant bien
que les raisonnements clefs de l'athéisme dans sa forme la plus
forte soient intégrés à la pensée d'Einstein, il n'est effectivement
pas athée, il est plus profond qu'un simple athée. Contrairement aux
athées
conventionnels pour qui la métaphysique est soit inexistante soit
inaccessible, en bon spinoziste, Einstein rétablit la métaphysique. Il
substitut à la métaphysique
irrationnelle des croyances religieuses une métaphysique rationaliste.
Einstein s'est forgé une intuition de ce qu'est le principe
fondateur de la réalité. Il ne croit pas en Dieu. Il a une compréhension intuitive de ce qu'est Dieu. Il n'y a donc pas de croyance. Comprendre Dieu c'est le stade ultime de l'incroyance. Là où l'athéisme
conventionnel laissait un vide, le
spinozisme d'Einstein comble ce vide et c'est provoque un sentiment quasi-religieux, qu'Einstein appelle "la
religiosité cosmique".
"C'est ici que se trouve le point faible des positivistes et des athées professionels [..] qui ont privés le monde des dieux".
Albert
Einstein, Lettre à Maurice Solovine, 30 mars 1952
En parlant des dieux, Einstein fait référence au paganisme.
Oui je pens que le rationalisme intégral conduit à une certaine une
forme de panthéisme, bien plus proche de celle des païens éclairés de
l'antiquité que de nos athées modernes qui ont aboli toute
métaphysique.
Einstein veut rester fidèle à ses émotions et questionnement d'enfant, dans son rapport
au réel. Il aime éprouver un
sentiment d'émerveillement, d'interrogation face aux mystères des
choses que nous ne parvenons à comprendre qu'imparfaitement durant le
court temps de nos existences finies.
La « religiosité cosmique » d'Einstein = « un sentiment d'admiration pour l’ordre qui se manifeste dans l’univers matériel »
« La
joie de contempler et de comprendre, voilà le langage que me porte la
nature »
Albert
Einstein, Comment je vois le monde,
aphorisme pour Leo Baeck.
« S’il y a
quelque chose en moi que l’on puisse appeler "religieux" ce serait
mon admiration sans bornes pour les structures de l’univers »
Albert
Einstein, lettre à un athée, le 22 mars 1954 (EA 39-525). (Einstein the human side p. 43)
« Le
sentiment religieux engendré par l’expérience de la compréhension logique de
profondes interrelations est quelque chose de différent
du sentiment que l’on appelle généralement religieux. C’est plus un
sentiment d'admiration pour l’ordre qui se manifeste dans l’univers
matériel »
Albert
Einstein, à un rabbin de Chicago, W. Plaut, fin 1939.
Einstein the human side p69.
« La
connaissance de l'existence de quelque chose que nous ne pouvons pas pénétrer,
la manifestation de la plus profonde rationalité et la plus radieuse
beauté, qui ne nous sont accessibles par notre raison que dans leurs formes
les plus primitives - c'est cette connaissance et cette émotion qui
constituent la véritablement attitude
religieuse, en ce sens, et seulement dans ce sens, je suis un homme
profondément religieux »
Albert
Einstein, Comment je vois le monde,
religion et science, The New York Times
Magazine, 9 novembre 1930.
« Je suis un non-croyant profondément religieux, c’est en
quelque sorte une nouvelle forme de religion »
Albert
Einstein, Lettre à Hans Muehsam 30 mars 1954;
EA 38-434
Les esprits animés par la « religiosité cosmique » : les scientifique-philosophes
« Le savant est pénétré par le sens de la Causalité universelle »
Albert
Einstein,"The religious spirit of science" Ideas and
opinions p40
« Les
génies religieux de toute époque se sont distingués par ce genre de sentiment
religieux (la religiosité cosmique), qui ne connaît pas de dogmes, ni de Dieu
conçu à l'image de l'homme, de sorte qu'il ne peut y avoir d’église dont les
enseignements sont basés sur elle. Par conséquent, c’est précisément parmi les
hérétiques de tout âge que l'on trouve des hommes qui ont été remplis par le
plus profond sentiment religieux et ont été dans bien des cas considérés par
leurs contemporains comme des athées, parfois aussi comme des saints. De ce
point de vue, des hommes comme Démocrite, François d'Assise et Spinoza sont
très proches l'un de l'autre. »
Albert
Einstein, Comment je vois le monde,
religion et science, The New York Times
Magazine, 9 novembre 1930.
Note: Einstein avait lu un ouvrage qui présentait François d’Assise comme un hérétique quasiment panthéiste.
« Les
scientifiques travaillant sérieusement sont les seuls personnes profondément
religieuses »
Albert
Einstein, Comment je vois le monde,
religion et science, The New York Times
Magazine, 9 novembre 1930
« Tant
que tu pris Dieu ou lui demande une récompense, tu n’es pas religieux »
Albert Einstein à
Leo Szilard. Max Jammer Einstein and religion p149.
Note: Ces citations montrent qu'Einstein a bien compris que le spinozisme est
une religion inversée par rapport aux sens traditionnel du sens
religieux. C'est une antireligion, c'est une contre-religion naturaliste fondée sur des convictions
rationalistes totalement opposée et ennemie des religions qui sont
toutes fondées sur des croyances irrationnelles.
► Présentation Générale de l'essai: « l’Amour de
la Raison Universelle »
► Les faux-amis de la religiosité cosmique d'Einstein
► Les origines philosophiques du Culte de la Raison
► Spinoza, le premier philosophe des lumières
► Les liens entre Einstein et Spinoza
► Giordano Bruno, précurseur de Spinoza et ... d'Einstein
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