Giordano Bruno
Aperçu de l'homme et de sa philosophie à travers de nombreux extraits de ses oeuvres
Giordano
Bruno n’est pas juste un martyr copernicien. Il est le philosophe le
plus profond et original de la
renaissance qui s’est sacrifié pour reverser l’empire du mensonge. Il
est le
précurseur de Spinoza,
des Lumières et de Nietzche. Il a également précédé Descartes sur le
doute et influencé Leibniz pour sa monade. Son fréquent oubli est un scandale
inqualifiable. Combien
ont leur place dans le panthéon de la philosophie, pour avoir une
pensée bien moins importante que la sienne ? Je suis en admiration
devant son
talent, son courage et sa détermination. Il est une partie de mon âme.
J'espère et voudrais seulement pouvoir être digne d’être un de ses
continuateurs. Mais
il a placé la barre si haut... Quiconque doit se sent petit face à
lui. Il
repousse les limites de ce qu'on peut imaginer de la volonté d’un seul
homme.
A travers cette page, je souhaiterai essayer de vous
communiquer mon amour pour lui, en insistant notamment sur les passages
autobiographiques de son œuvre
qui nous dévoilent son caractère absolument héroïque qui est un aspect
essentiel de sa personnalité, pourtant presque systématiquement négligé
même par ceux qui entendent lui rendre hommage.
Avis portés sur Bruno démontrant son importance philosophique, scientifique et littéraire
Kepler à Galilée. Lettres en 1597 et dans Dissertatio cum nuncio sidereo. Voir
également la lettre de Martin Hasdale à Galilée datée du 15 avril 1610, où il
lui dit que Kepler avait exprimé son admiration pour Galilée, bien qu'il
regrette que, dans ses œuvres, ce dernier n'ait pas mentionné Copernic,
Giordano Bruno et plusieurs Allemands qui avaient anticipé de telles
découvertes, y compris Kepler lui-même.
Shakespeare avait été
impressioné par les "fureurs héroïques" de Bruno et s'en inspira pour
le personnage de Berowne dans Peines d’amour perdues.
Jean Rocchi,
Giordano Bruno,l’errance et l’hérésie
"A dire ce que je pense de cet homme, il y aurait peu de philosophes qu'on pût lui comparer"
Denis Diderot, encylopédie article Jordanus Brunus
Christian Bartholmèss. Jordano Bruno.
Einstein se réclama de “Giordano Bruno, Spinoza, Voltaire”
Willeime à propos de Bruno
extrait de l'interview du philosophe Willeime août 2020
Biographie
Giordano
Bruno, dit le Nolain, nait en janvier 1548
à Nola, paisible bourgade proche de Naples. A 7 ans, il parle déjà
latin. Doté
d'une faculté de mémorisation extraordinaire, il est dit qu’il était
capable de
réciter 7000 passages de la Bible ou encore 1000 poèmes d’Ovide. A 17
ans, il
entre au célèbre couvent dominicain de San Domenico Maggiore qui
possédait
l’une des plus grandes bibliothèques, et loge dans la chambre à côté de
celle
autrefois occupée par Saint Thomas d’Aquin. Il est ainsi au coeur de
l'élite religieuse. Prénommé Fillipo, il change son prénom en Giordano
en honneur de son maître en métaphysique, Giordano Crispo. Il est ordonné prêtre et promu
Docteur en théologie à 27 ans, mais seulement trois ans plus tard, en
1576 il retire
les représentations de la Vierge Marie de sa chambre et est accusé
d'hérésie
par les autres moines. Une enquête est ouverte à son encontre. Il fuit
alors
durant 15 années à travers la Suisse, la France, l’Angleterre,
l’Allemagne,
Venise. Alors qu'il est un total inconnu, ses talents d'orateur et sa mémoire extraordinaire font forte
impression et lui permettent d’être rapidement reçu à la cour d' Henri
III. Impressioné, Henri III le
nome lecteur royal, ce qui lui assurera une protection temporaire. Il
rencontra également la reine Elizabeth en Anglettere et l'empereur
Rodolphe II à
Prague. Il exerce dans diverses universités à travers l'europe (Oxford,
la
Sorbonne...), mais il devra les fuir très régulièrement, dès lors que
ses thèses
commencent à être connues. Il est excommunié trois fois: par les
calvinistes en Suisse, les protestants en Allemange et les catholiques
en Italie. Il parvient à publier
plusieurs ouvrages de philosophie où il traite à la fois de
métaphysique, de
physique, de morale, de religion et de politique et y démontre ses
talents de
poète, d'humouriste et sa grande érudition. Quoi que lui-même soit plutôt identifiable à un pythagoricien, il est le
premier à véritablement réactualiser, et prolonger l'héritage
des
matérialistes de l'antiquité (Démocrite, Epicure, Lucrèce). En 1791, il est arrêté par
l'inquisition à
Venise et transféré pour un procès en hérésie à Rome où il fait preuve
d’une
résistance héroïque.
Citations
pendant son Procès
Après
8 ans de prison et une
première "censure" (torture), il faint ou hésite à se repentir mais
refuse finalement d'abjurer. Le 9 septembre 1599, le
tribunal d'inquisisition s'impatiente et décide en conséquence que l'accusé sera donc
"fortement
tortué", et "plutôt deux fois qu'une", mais cette nouvelle séance de
torture ne le fait toujours par cèder. Trois mois plus tard, il
répond à ce même tribunal:
Giordano Bruno, Face à l'inquisition, le 21 décembre
1599.
« Le
débat ne sera pas clos par mon bûcher mais au contraire, ouvert, après lui, et
peut-être par lui, à l’humanité entière »
Giordano Bruno,
Face à l'inquisition
le 20 janvier 1600, le pape Clément
VIII constate l’incapacité du tribunal d’inquisition à faire plier l'accusé. Il
est déclaré que Bruno est "un hérétique impénitent, tenace et
obstiné". A la lecture du verdict le condamnant à mort, Bruno
répondit: « Vous éprouvez sans doute plus de crainte à rendre cette sentence
que moi à l'accepter » [d'après Gaspard Schopp à Conrad Rittershausen].
Le 17 février 1600, il est installé
sur le bûcher sur le Campo Dei Fiori. Alors « qu’on lui montrait l’image du
Sauveur crucifié, il l’a repoussée avec dédain et d’un air farouche »
[d'après Gaspard Schopp à Conrad Rittershausen]. Giordano Bruno a alors tourné
son regard vers le ciel, ce ciel qu'il décrivait infini et multiple...
désormais voilé par la fumée des flammes qui montent vers lui.
Le cardinal Bellarmin qui a instruit le procès de Bruno fit écrire sur sa tombe
cette contre-vérité « j’ai plié par la force le cerveau du superbe ».
Note: Outre Bruno, d’autres libres-penseurs Michel Servet ou précurseurs des lumières comme Giulio Cesare
Vanini (brulé), Étienne Dolet, Pietro Giannone, Jacques Gruet, Geoffroy Vallée ont également été exécutés à la même
époque.
Voyez également le triste sort des précurseurs de Spinoza en Hollande: Uriel da Costa et
Juan de Prado et après Spinoza d'Eric Walten et Adriaan Koerbagh.
9
ans auparavant il avait écrit...
« J'ai combattu, et c'est beaucoup.
J'ai pensé que je pourrais gagner mais... la nature et la chance ont limité mon
effort. C'est déjà quelque chose d'avoir essayé. Depuis je vois que la victoire
est entre les mains du destin. En ce qui me concerne, j'ai fait tout mon
possible, ce qu'aucune génération ne pourra me refuser: que je n'ai pas craint
la mort, que je ne me suis soumis à aucun comme personne ; et que j’ai préféré
une mort courageuse à une vie non combattante.» « Je ne recule point devant le
trépas et mon cœur ne se soumettra à nul mortel. »
Giordano Bruno, De monade, numero et figura (1591)
Note: Ces écrits n'étaient donc pas des fanfaronnades.
Poème
Autobiographique
“Échappé de
l'étroite prison trouble
Où pendant tant d'années l'erreur m'a retenu fermement,
Ici je laisse la chaîne qui me liait
Et l'ombre de mon ennemi farouchement malveillant
Qui ne peut plus me forcer au sombre crépuscule de la nuit.
Car celui qui a vaincu le grand Python
Avec le sang duquel il a teint les eaux de la mer a
mis en fuite la fureur qui m'a poursuivi.
Vers toi je me tourne, je plane, ô ma voix de soutien;
Je te rends grâce, mon Soleil, ma Lumière divine,
Car tu as ajourné cette horrible torture,
Tu m'as conduit vers un tabernacle plus beau;
Tu as apporté la guérison à mon cœur meurtri.
Tu es ma joie et la chaleur de mon cœur;
Tu me fais sans crainte du destin ou de la mort;
Tu brises les chaînes et les barres
d'où peu sortent libres.
Les saisons, les années, les mois, les jours et les heures -
Les enfants et les armes du temps - et cette cour
où ni l'acier ni le trésor ne
m'ont protégé de la fureur [de l'ennemi].
Désormais, je déploie mes ailes confiantes à l'air
et ne craignant nul obstacles, ni de cristal, ni de verre,
je fends les cieux et m'élève à l'infini.
Et tandis que de mon globe, je jaillis vers d'autres mondes
et que je pénètre toujours plus à travers les champs éthérés,
j'abandonne derrière moi ce que les hommes voient de loin”
Giordano Bruno, l’infini, l’univers et les mondes, épître liminaire
Un contemporain de Bruno, Kepler écrivit à ce sujet le 7 mars puis le 5 avril 1608 : « Que
Bruno a été brûlé à Rome, je l'ai appris de mon maître Wackher; il a
supporté son sort avec fermeté d'âme. Il avait affirmé la vanité de
toutes les religions et avait remplacé Dieu par des cercles et des
points ». (voir livre XXIV des philosophes:
"Dieu est une sphère sans limite, dont le centre est partout et la
circonférence nulle part"). Brengger conclut alors que Bruno avait dû
être fou et se
demanda d'où pouvait venir le courage d'un homme qui avait renié Dieu
(lettre du 25 mai 1608). Bruno répond à cette question dans ces oeuvres.
L'Amour Héroïque
"
L'amour héroïque est un tourment, car il ne se réjouit pas du présent comme
l'amour animal, mais du futur et de l'absence" "S'il n'y avait pas d'amertume dans les choses, il n'y aurait pas de joie,
tout comme le dur labeur nous fait trouver la joie du repos; la séparation est
la cause de notre plaisir à l'union; et si nous enquêtons sur la question en
général, on trouvera toujours que l'un des contraires est l'occasion de
l'opportunité et du plaisir de l'autre." "Aimer et aspirer plus haut
s'accompagne en effet de plus de gloire et de majesté, comme aussi de plus de
tristesse et de douleur" "Ah, quelle condition, quelle nature ou quel destin
est le mien! […] Vidé d'espoir aux portes de l'enfer, débordant de désir,
j'atteins le ciel; et en tant qu'esclave éternel de deux contraires, je suis
banni du ciel et de l'enfer"
Giordano Bruno, Les Fureur héroïques, I, 2 ; II, 1.
" L'aspiration au désir héroïque porte [le frénétique] bien au-delà de la limite de sa
propre nature". "[cette frénézie] consiste en un certain ravissement
divin qui fait que certains deviennent supérieurs aux hommes ordinaires"
Giordano Bruno,
Les Fureur héroïques, I, 2 et 3.
" Pour les hommes bien disposés,
l'amour de la beauté matérielle non seulement ne les éloigne pas du tout des
grandes entreprises, mais leur donne plutôt des ailes pour les accomplir"
Giordano Bruno,
Les Fureur héroïques, II, 1.
" Nous arrivons maintenant à notre but. Ces fureurs dont nous parlons, et
dont les manifestations se manifestent
dans ces dialogues, ne naissent pas de
l'oubli de soi, mais d'un souvenir. Ce ne sont pas des délires non dirigés,
mais de
l'amour et du désir du beau et du bien, un modèle de perfection que
l'on se
propose d'atteindre pour soi-même en se transformant à sa ressemblance.
Ce
n'est pas le ravissement de celui qui est pris au piège de la passion
bestiale
sous la loi d'un destin indigne; mais une force rationnelle suivant la
perception intellectuelle du bien et du beau compréhensible à l'homme à
qui ils
donnent du plaisir quand il se conforme à eux, de sorte qu'il s'enflamme par
leur noblesse et leur lumière, et est investi de la qualité et de la
condition
qui font de lui un illustre et un digne. Par contact intellectuel avec
cet
objet divin, il devient un dieu; et se montre insensible et invincible
aux choses que les hommes ordinaires ressentent le plus et par
lesquelles ils sont le plus tourmentées; lui ne craint rien, et dans
son amour
de la divinité, il méprise les autres plaisirs et ne pense pas à sa
vie. Ce
n'est pas la frénésie mélancolique qui - au-delà du conseil, de la
raison et de
la prudence - le fera s'égarer à la merci du hasard et le porter dans
le
courant de sa tempête ruineuse, comme ceux qui, ayant transgressé
certaines
lois de la divine Adrastia, ont été condamnés à la boucherie des Furies
et à la
perte de toute paix par un conflit physique, résultant en trouble,
délabrement et maladies, autant que spirituel, résultant de la perte
d'harmonie entre les
pouvoirs rationnels et le désir; mais c'est une chaleur allumée dans
l'âme par
le soleil de l'intellect, et un élan divin qui lui donne des ailes;
de sorte
qu'en le rapprochant toujours du soleil intellectuel, en rejetant la
rouille
des soins terrestres, il devient éprouvé et pur, acquiert le sentiment
de
l'harmonie divine et intérieure, et conforme ses pensées et agit à la
mesure
commune de la loi innée en toutes choses." “Tout comme l’amant héroïque, en
m’élevant sur les ailes de l'intellect, je me transforme en une
divinité à partir d'une créature inférieure”.
Giordano Bruno,
Les Fureur héroïques, I, 3.
Note: Bruno expose ici ce que Spinoza appele "l'amour intellectuel de Dieu", et que j'appelle Amour de la Raison Universelle.
“ Je me nourris de ma haute entreprise; et bien que l'âme n'atteigne pas la
fin désirée et soit consommée par tant de zèle, il suffit qu'elle brûle dans un
si noble feu”.
Giordano Bruno,
Les Fureurs Héroïques, I, 3.
" Il n'est ni convenable, ni naturel que l'infini soit compris, ou qu'il se
présente comme fini, car alors il cesserait d'être infini; mais il est
parfaitement en accord avec la nature que l'infini, parce qu'il est infini,
soit poursuivi sans fin"
Giordano Bruno,
Les Fureur héroïques, I, 4.
" Un esprit héroïque préférera tomber ou manquer noblement dans une
entreprise élevée, par laquelle il manifeste la dignité de son esprit,
qu'obtenir la perfection dans des choses moins nobles, sinon viles"
Giordano Bruno,
Les Fureur héroïques, I, 3.
" Il faut donc être élevé à cet
intellect supérieur qui est beau en soi et bon en soi. C'est ce seul et suprême
capitaine qui, seul, placé à la vue de pensées militantes, les illumine, les
encourage, les renforce et les assure de la victoire par le mépris de toute
autre beauté et la répudiation de tout autre bien. C'est donc cette présence qui
surmonte toutes les difficultés et vainc toutes les violences." "Le frénétique est fier d'avoir la force et la robustesse du
chêne"
Giordano Bruno, Les Fureur héroïques, I, 5.
" Cesarino: Comment comprenez-vous que l'esprit aspire à
s'élever? Par exemple, serait-ce en se tournant vers les étoiles, ou le
ciel cristallin?
Maricondo: Certainement pas, mais en allant au fond de l'esprit; et pour ce
faire, il n'est pas du tout nécessaire de regarder les yeux grands ouverts vers
le ciel, de lever les mains, de diriger ses pas vers le temple, de lasser les
oreilles des statues avec les chants que nous faisons; mais il faut
descendre plus intimement en soi et considérer que Dieu est proche, que chacun
l'a avec lui, et en lui, plus qu'il ne peut l'être en lui-même, car Dieu est
l'âme des âmes, la vie de toute la vie, l'essence des essences; et les
planètes que vous voyez au-dessus et au-dessous de la canopée du ciel (comme il
vous plait de l'appeler), ne sont que des corps, des créations similaires à
notre terre, dans lesquelles la divinité n'est présente ni plus ni moins qu'elle
n'est présente dans ce corps qui est notre terre aussi bien qu'en
nous-mêmes. Ce sont les raisons pour lesquelles il doit d'abord quitter la
multitude et se replier sur lui-même. Ensuite, il doit atteindre l'état
dans lequel il ne regarde plus mais méprise chaque lutte, de telle sorte que
plus les passions et le vice l’attaque de l'intérieur et ses ennemis vicieux de
l'extérieur, plus il récupère son souffle et se relève, et avec une expiration
(si possible) surmonte la pente raide. Alors il n'a plus besoin d'armes et
de boucliers que la grandeur d'une âme invaincue et l'endurance d'un esprit
capable de maintenir sa vie en équilibre et en continuité, un esprit qui
procède de la connaissance et qui est régulé par l'art de spéculer sur des
choses nobles."
Giordano Bruno,
Fureurs Héroïques, II, 1.
Note:
Passage inspiré de Sénèque, Lettre à Lucilius XLI ("Il n'est pas besoin
d'élever les mains vers le ciel, ni de gagner le gardien d'un temple
pour qu'il nous introduise jusqu'à l'oreille de la statue, comme si de
la sorte elle pouvait mieux nous entendre ; il est près de toi le Dieu,
il est avec toi, il est en toi." et Lucrèce V, 1197 à 1202.
" Si les héros, les dieux et les hommes m'encouragent à ne pas
désespérer, ni la peur de la mort, ni la douleur corporelle, ni aucun obstacle au
plaisir ne me causera de terreur, de souffrance ou de désir excessifs; que je
puisse voir clairement mon chemin devant moi, que le doute, la douleur et la
tristesse soient éteints par l'espoir, la joie et la joie intérieure."
"si ma divinité brille sur moi, m'allume et se tient près de moi, elle me
donnera la lumière, la puissance et la béatitude".
Giordano Bruno,
Fureurs Héroïques, II, 1.
" Nous comprenons le sentiment exprimé ici à la lumière de
notre explication dans les discours précédents, en particulier où nous avons
montré que le sens des choses inférieures est atténué et même annulé lorsque
les pouvoirs supérieurs sont vaillamment attentifs à l'objet plus glorieux et
héroïque. La vertu de la contemplation est si grande (comme le note Jamblique)
que parfois l'âme non seulement se détourne des actes inférieurs, mais échappe
également complètement au corps." [...] "d'autres arrivent
héroïquement au point de ne plus ressentir la peur de la mort, ni de souffrir
la douleur du corps, ni de ressentir les obstacles du plaisir; car l'espérance,
la joie et les délices de l'esprit supérieur rassemblent une telle force qu'elles
abolissent toutes les passions qui peuvent engendrer le doute, la douleur et la
tristesse."
Bruno illuste cette idée par une citation d'Epicure mourant
et atteind de calcul reinaux: "Ayant atteint le dernier et
le plus heureux jour de ma vie, j'ai prévu pour ce jour la paix, la santé et la
tranquillité d'esprit; car peu importe combien la plus grande
douleur me tourmente, ce tourment est complètement absorbé par le plaisir que
nous avons pris dans nos créations et dans la considération de notre objectif".
Giordano Bruno,
Fureurs Héroïques, II, 1.
"Toi ne cède pas au malheur, au contraire va de l'avant avec plus d'audace".
Giordano Bruno, L’expulsion de la bête triomphante, deuxième dialogue, III. (Citation de Virgile, Eneide, VI, 95).
"Fortitude, remplace donc Hercule, en portant devant toi la lanterne de
la Raison car sinon tu ne serais plus fortitude mais stupidité, furie
et témérité"
Giordano Bruno,
L’expulsion de la bête triomphante, deuxième dialogue, III
« Même le soleil brille avec moins d'éclat que celui qui fait de
moi le dieu le plus glorieux de la grande création des mondes »
Giordano Bruno,
Les Fureurs Héroïques, chanson de l’éclairé.
Un héro de la vraie philosophie
un Philosophe pas un Theologien
Un rebel s'opposant aux autorités philosophiques dominantes: Aristote et Platon
" Certains
deviennent impuissants et incapables d'appréhender la vérité, dans la
mesure où leur affection l'emporte sur leur intellect. Tels sont ceux
qui placent l'amour avant la compréhension, de sorte que tout leur
apparaît coloré par leur affection; car c'est un fait établi que pour
ceux qui veulent atteindre la vérité par la contemplation, une
purification parfaite de la pensée est nécessaire".
Giordano Bruno,
Les fureurs Héroïques, II, IV.
Epicurisme
Le Libérateur
«
Le Nolain [lui-même] a libéré l'esprit humain et la connaissance, qui
étaient
enfermés dans une étroite prison à l'air turbulent et ne pouvaient
que difficilement contempler les étoiles dans l’immensité que par
certains orifices ; leurs ailes ayant été coupées, jusqu'à ce qu'il
vole pour
déchirer le voile de ces nuages, et découvre ce qui se tenait vraiment
là-haut, nous débarrassant des chimères de ceux qui, étant sortis de la
boue et des grottes de la terre, se donnant pour des Mercures et des
Apollons
descendus du ciel, ont présenté comme autant de vertus, d’idées divines
et de rigoureux principes d’innombrables folies, grossièretés et vices
infinis et ont rempli le monde d’impostures, éteignant la lumière qui
rendait les âmes des anciens divines et héroïques, approuvant et
confirmant la
ténébreuse obscurité des sophistes et des ânes. A l’esprit divin et
providentiel qui chuchote intérieurement à l’oreille, la raison humaine
opprimée,
ne peut que pleurer sur sa déchéance, dans ses intervalles de lucidité, écrasée par son asservissement. [...]
Voici alors apparaître l'homme qui
a franchi les airs, traversé le ciel, parcouru les étoiles, outrepassé les
limites du monde, dissipé les murailles imaginaires des sphères - du premier,
du huitième, du neuvième, du dixième rang ou davantage - postulées par de vains
calculs mathématiques ou par une aveugle et vulgaire philosophie (...). C'est
lui qui, avec les clefs de sa compétence, a ouvert par ses recherches ceux des
cloîtres de la vérité auxquels nous ne pouvons avoir accès. Il a mis à nu la
nature, que des voiles enveloppaient »
Giordano Bruno, Le Banquet des Cendres, I.
« Ce
n'est pas le premier venu qui peut se charger les épaules d'un tel
fardeau: il faut pouvoir le porter, comme le Nolain [Bruno], ou du moins comme
Copernic le déplacer vers le but sans rencontrer trop de difficultés.
De plus, les détenteurs de cette vérité doivent se garder de la
communiquer à n'importe qui, s'ils ne veulent […] apprendre à leurs
dépens ce que les cochons font des perles et récolter pour fruit de
leur travail et de leur peine ce que produit d'ordinaire la sotte et
téméraire ignorance, alliée à la présomptueuse grossièreté qui lui
tient toujours fidèlement compagnie. Les ignorants que nous pouvons
instruire, les aveugles que nous pouvons éclairer, sont ceux dont la
cécité n'est pas imputable à une incapacité naturelle ou à un manque
d'intelligence et de discipline, mais à une perception et à une
réflexion insuffisante: en pareil cas, l'acte seul leur fait défaut et
non la faculté. Poussés par une sorte d’envie paresseuse, certains ont
assez de malignité et de scélératesse pour se dresser avec orgueil et
colère contre quiconque fait mine de les instruire: doctes et docteurs
aux yeux des autres et, qui pis est, à leurs propres yeux, ils ne
peuvent souffrir qu'un audacieux fasse preuve d'un savoir dont
eux-mêmes sont dépourvus. Vous allez les voir s'enflammer de rage et de
fureur. […]
Giordano Bruno, Le Banquet des Cendres, I.
" Nous deviendrons certainement
plus grands que ceux que le public aveugle adore, car nous atteindrons la vraie
contemplation de l'histoire de la nature qui est inscrite en nous-mêmes, et
nous suivrons les lois divines qui sont gravées dans nos cœurs".
Giordano Bruno, L'Infini, l'Univers et les Mondes,
Epitre
Giordano Bruno, L’expulsion
de la bête triomphante, épitre explicative
"
Si
j'avais conduit une charrue, fait paître un troupeau, entretenu un
jardin,
façonné un vêtement: personne ne me regarderait, peu m'observeraient,
rarement
un me reprendrait; et je pourrais facilement satisfaire tous les
hommes. Mais
puisque j'explorerais le domaine de la nature, prenais soin de la
nourriture
de l'âme, favorisais la culture du talent, devenais expert comme
Dédale des
voies de l'intellect; voici, que l'un menace de me découvrir, un autre
m'assaille à sa
vue, un autre mord en m'atteignant, un autre qui m'a attrapé me dévore;
pas un,
ni peu, mais ils sont nombreux, voire presque tous. Aussi savez-vous
pourquoi je déteste la foule, je déteste le troupeau vulgaire et dans
la
multitude je ne trouve aucune joie. C'est l'Unité qui m'enchante. Par
sa
puissance, je suis libre mais servile, heureux de douleur, riche de
pauvreté
et rapide même de mort. Par sa vertu, je n'envie pas ceux qui sont
libres
quoique libres, qui pleurent au milieu des plaisirs, qui endurent la
pauvreté
dans leur richesse et une mort vivante. Ils portent leurs chaînes en
eux; leur
esprit contient son propre enfer qui les abaisse; dans leur âme se
trouve la
maladie qui se perd, et dans leur esprit la léthargie qui fait mourir.
Ils sont
sans la générosité qui affranchirait, la longue souffrance qui exalte,
la
splendeur qui illumine, la connaissance qui donne la vie. Par
conséquent, je ne
fuis pas avec lassitude le chemin difficile, ni n'abstiens
paresseusement mon
bras de la tâche actuelle, ni ne me retire désespéré de l'ennemi qui
m'affronte, ni ne détourne mes yeux éblouis de la fin divine. Pourtant,
je suis
conscient que je suis surtout considéré comme un sophiste, cherchant
plutôt à
paraître subtil qu'à révéler la vérité; un camarade ambitieux diligent
plutôt
pour soutenir une nouvelle et fausse secte que pour établir l'ancien et
le vrai;
un piège d'oiseaux qui poursuit la splendeur de la renommée, en étalant
devant
l'obscurité de l'erreur; un esprit inquiet qui saperait l'édifice d'une
bonne
discipline pour établir le cadre de la perversité.
C'est pourquoi, mon seigneur, que les puissances célestes dispersent devant moi
tous ceux qui me haïssent injustement; que mon Dieu me soit toujours gracieux;
que tous les dirigeants de notre monde me soient favorables; que les étoiles me
donnent de la semence pour le champ et de la terre pour la semence, afin que la
récolte de mon travail paraisse au monde utile et glorieuse, que les âmes
soient éveillées et que la compréhension de ceux qui sont dans les ténèbres
soit illuminée. Car assurément je ne feins pas; et si je me trompe, je le fais
sans le savoir; ni dans la parole ou l'écriture, je ne lutte pour la victoire,
car je considère que la réputation du monde et le succès creux sans vérité sont
haineux pour Dieu, les plus vils et les plus déshonorants. Mais je m'épuise, me
vexe et me tourmente par amour de la vraie sagesse et du zèle pour la vraie
contemplation. Je vais le manifester par des arguments concluants, dépendant de
raisonnements vifs, dérivés d'une sensation régulée, instruits par de vrais
phénomènes; car ceux-ci, en tant qu'ambassadeurs dignes de confiance, émergent
des objets de la Nature, se rendant présents à ceux qui les recherchent,
évidents pour ceux qui les regardent attentivement, clairs pour ceux qui les
appréhendent, certains et sûrs pour ceux qui les comprennent. Ainsi je vous présente
ma contemplation concernant l'univers infini et les mondes innombrables".
Giordano Bruno, L'Infini, l'Univers et les Mondes, Epitre
Dieu
est la Nature, l'Univers Infini, la Monade
"Notre conception ou définition de la divinité diffère de la commune".
" Je dis que Dieu est l'infini tout-entier parce qu'il imprègne
l'ensemble du monde entier et chaque partie de celui-ci de manière
globale et à l'infini".
L'Infini, L'Univers et les Mondes, I.
«L'Un infini est parfait, dans la
simplicité de lui-même absolument rien ne peut être mieux ou plus grand, c'est
le tout unique, Dieu, la nature universelle, occupant tout l'espace à partir de
quoi rien, sauf l'infini peut en donner une image parfaite»
Giordano Bruno, De innumerabilibus, immenso et
infigurabili
« Dieu est la Monade, source de tous
les nombres. L'absolument simple, fondement simple de toute grandeur et
substance de toute composition ; supérieur à tout accident, infini et immense.
La nature est nombre nombrable, grandeur mesurable et réalité déterminable. La
raison est nombre nombrant, grandeur mesurante, critère d'évaluation. À travers
la nature, Dieu influe sur la raison. La raison, à travers la nature, s'élève
vers Dieu. » "Dieu est la monade des monades"
Giordano Bruno, De triplici minimo, I.
Panthéisme/Paganisme
"Ainsi sommes-nous conduits à
découvrir l’effet infini de la cause infinie ; et à professer que ce n’est pas
hors de nous qu’il faut chercher la divinité, puisqu’elle est à nos côtés, ou
plutôt en notre for intérieur, plus intimement en nous que nous ne sommes en
nous-mêmes."
Giordano Bruno, Banquet des cendres, I.
« [Les anciens Égyptiens et Romains] n’adoraient pas Jupiter, comme s’il était la divinité, mais ils adoraient la divinité telle qu’elle était dans Jupiter» « La Divinité se révèle elle-même en toutes choses ... Tout a de la divinité latente en soi». «La Nature, c'est Dieu dans les choses».
Giordano Bruno, L’expulsion de la bête triomphante, troisième dialogue, II
Intellectualisme
– Visions cosmique
Giordano Bruno,
cité dans "Life and Teachings of Giordano Bruno" Coulson Turnbull (1913).
" Cicada: Mais comment notre intellect fini peut-il poursuivre un objet infini?
Tansillo: Par la puissance infinie de l'intellect."
Giordano Bruno, Fureurs Héroïques, I, 5.
Note: "Bruno est convaincu que le christianisme a marqué l'avènement une
profonde décadence de la Culture et de la société européenne" et milite
pour un retour aux valeurs romaines."
Giordano Bruno et la puissance de l'infini. p71
Bruno,
avant Nietzsche, comprend que le christianisme a perverti la morale et
la philosophie. En propageant la détresse de notre condition de mortel,
le christianisme a contaminé le sentiment de l'existence au contraire des anciens qui cultivaient le courage et l'héroisme élevés jusqu'au mépris de la mort.
Note: Pour Bruno « Le christianisme semble la cause originelle de la décadence
historico-universelle, parvenue à son sommet avec la réforme luthérienne. Le
christianisme retourne à ses principes originels d’ânerie et de pédanterie et
prépare sa propre mort. Erasme a bien vu la folie ». “Je crois à la puissance
et aux gestes héroïques indispensable pour le développement de la civilisation.
Et alors viendra la sagesse antique, victorieuse du christianisme paulien et
luthérien, pour rénover l’homme, la science et la civilisation. Hébraïque et
chrétien s’éloigneront dans la nuit et la décadence. Un autre monde affleura à
la lumière du jour. Cette religion nouvelle sera intrinsèquement civile et
naturelle »
Giordano Bruno,
cité par Jean Rocchi, l’errance et l’hérésie p170-171.
Jesus-Christ
et l'inversion des valeurs par la religion
Dans l'Expulsion de la Bêtre
Triomphante, Bruno met en scène un conseil des dieux réuni par Jupiter pour une
réforme de grand ampleur du ciel [= la religion], où il est notamment traité du
cas d'Orion[=version parodique de Jésus]. Pour comprendre la critique que Bruno fait à Jésus voyez notre page sur l'inversion des valeurs
« Le miraculeux Orion[=Jesus]
épouvante les divinités avec l’imposture, l’adresse, la gentiellesse inutile,
le vain prodige, l’artifice, la bagatelle et la filouterie et qui comme des
guides, des conducteurs et des potiers dirigent la jactance, la veine gloire,
l’usurpation, la rapine, la fausseté, et de nombreux autres vices"
Giordano Bruno, L’expulsion de la bête triomphante,
épitre explicative
" -Neptune a demandé: Que
ferrez-vous faire de mon favori, de mon beau mignon, je veux dire de cet Orion
qui fait (comme disent les étymologistes) uriner le ciel?
- Ici, Momos répondit: - Permettez-moi de proposer. Il nous est tombé dessus,
tout comme dit le proverbe de Naples, comme les macaronis dans le fromage!
Ceci, parce qu'il sait faire des merveilles et, comme le sait Neptune, il peut
marcher sur les vagues de la mer sans couler, sans se mouiller les pieds; et
avec ça par conséquent il pourra faire bien d'autres belles bontés. Envoyons-le
parmi les hommes; afin qu’il leur fasse croire que le blanc est noir, que
l'intellect humain s’aveugle quand il voit; que ce qui selon la raison semble
excellent, bon et même très bon est lâche, scélérat et extrêmement mauvais; que
la nature est une ignoble putain, que la loi naturelle est une canaillerie; que
la nature et la divinité ne peuvent contribuer à la même bonne fin, et que la
justice de l'une n'est pas subordonnée à la justice de l'autre, mais que ce
sont des choses contraires, comme les ténèbres et la lumière; que toute la
divinité est la mère des Grecs [=les chrétien], et c'est comme une belle-mère
ennemie des autres peuples; par laquelle personne ne peut être reconnaissant
envers d'autres dieux que grecque, ou devenant grec[=chrétien], parce que le
plus grand scélérat et poltron que connu la Grèce, puisqu’il appartenait au
peuple des dieux, est incomparablement meilleur que l’homme le plus juste et le
plus magnanime qui est pu venir de Rome au temps de la République, et de
n’importe quel autre peuple, quoique meilleur en coutumes, science, courage,
jugement, beauté et autorité. Parce que ce sont des dons naturels et méprisés
par les dieux, et laissés à ceux qui ne sont pas capables de plus grands
privilèges: comme sautiller sur les eaux, faire danser les écrevisses et
cabrioler les boiteux, permettre aux taupes de voir sans lunettes et autres
gracieusetés de la même farine. Il convaincra avec cela que toute la philosophie,
la contemplation et la magie naturelle qui peuvent rendre semblables à nous les
dieux, ne sont que folie; que chaque acte héroïque n'est rien d'autre que
coquinerie; et que l’ignorance est la plus belle science du monde, car elle
peut être achetée sans effort et ne rend pas l'âme affectée par la mélancolie.
Avec cela, il pourra peut-être rappeler et restaurer le culte et
l'honneur que nous avons perdu, s'arrangeant pour que l'on tienne des vauriens
pour des dieux parce qu’ils sont grecs [=chrétiens] ou devenus tels. Mais c’est
avec crainte, ô dieux, que je vous donne ce conseil car certains chuchotements
à mon oreille me disent qu'il se pourrait se la garder pour lui en faisant
croire que le grand Jupiter n'est pas Jupiter, mais que Orion est Jupiter; et
que tous les dieux ne sont que des chimères et des fantasmes. Il me semble donc
que nous ne permettions pas qu’il continue ses tours de passe-passe grâce
auxquels sa réputation l’emporterai sur la notre.
Ici le sage Minerve répondit: - Je ne sais pas, O Momos, en quel sens tu dis en
même temps ces conseils et cette mise en garde. Je pense que ton discours est
ironique; parce que je ne te crois pas si stupide que tu penses que les dieux
mendient pour leur réputation et quant à ces imposteurs, leur fausse réputation
est fondée sur l'ignorance et la bestialité de quiconque les estime […] Donc,
si vous considérez que l’on a adoré comme Jupiter non seulement Orion qui est
grec et homme de quelque valeur, mais aussi un membre de l'une des nations les
plus indignes et la plus corrompue au monde [=les hébreux], on n’honorera
jamais en lui Jupiter [..].
- Savez-vous maintenant, dit Jupiter, ce que j’ai décidé le concernant pour
éviter tout nouveau scandale ? Je veux qu’il redescende; et ordonne qu’il perde
tous les pouvoirs de faire ces impostures, tours de passe-passe et autres
merveilles qui ne servent à rien; car avec ça je ne veux pas qu’il vienne
détruire ce qui se trouve d'excellent et de digne et qui consiste en des choses
nécessaire à la république du monde […].
- Qu’il déguerpisse déclara Minerve. »
Giordano Bruno,
L’expulsion de la bête triomphante, III, III
« Il nous faut revenir à la
simplicité, à la vérité et à la persévérance, renversant les conceptions
morales qui sont maintenant imposées dans le monde, selon lesquelles les œuvres
et affections héroïques ne valent rien, où croire sans penser est la sagesse,
où les impostures humaines sont fait pour passer comme des conseils divins, la
perversion de la loi naturelle est considérée comme une piété religieuse,
étudier est une folie, l'honneur est placé dans les richesses, la dignité dans
l'élégance, la prudence dans la méchanceté, la finesse dans la trahison, le
savoir-vivre dans la fiction , la justice dans la tyrannie, le jugement dans la
violence »
Giordano Bruno, L’expulsion de la bête triomphante,
épitre explicative
Note: Bruno est ici le précurseur de Nietzche
et de sa dénonciation de l'inversion des valeurs par le christianisme. On peut également faire le parallèle avec le discours de Robespierre du 18 pluviôse an II.
" Les imbéciles dans ce monde
ont été ceux qui ont établi les religions, les cérémonies, les lois, la foi,
les règles de vie. Les plus grands ânes du monde sont ceux qui, dépourvus de
toute compréhension et instruction, et dépourvus de toute vie civile et
coutume, pourrissent en pédanterie perpétuelle ceux qui, par la grâce du ciel,
reformeraient une foi obscure et corrompue, éviteraient les cruautés de la
religion pervertie et élimineraient les abus des superstitions, réparant les
rentes dans leur vêtement. Ce ne sont pas eux qui s'adonnent à une curiosité
impie ou qui sont toujours à la recherche des secrets de la nature et qui
tiennent compte des courses des étoiles. Observez s'ils se sont occupés des
causes secrètes des choses ou s'ils ont toléré la destruction des royaumes, la
dispersion des peuples, les incendies, le sang, la ruine ou l'extermination;
s'ils cherchent la destruction du monde entier pour qu'il leur appartienne:
afin que la pauvre âme soit sauvée, qu'un édifice soit élevé dans le ciel, que
le trésor soit déposé dans cette terre bénie, sans souci de la renommée,
profit ou gloire dans cette vie frêle et incertaine, mais seulement pour cette
autre vie la plus certaine et éternelle."
Importance Scientifique de Bruno
Le Principe de Relativité
Giordano Bruno,
Cause, Principe, Unité, V.
Note: Lucrèce écrivait "il ne peut pas y avoir de centre dans un univers infini" (I, 1070).
"La terre pas plus que tout autre monde n'est au centre" "Ceux qui habitent la lune se croient au centre "
Giordano Bruno, L'Infini, L'univers et les Mondes, II.
"la terre n'est pas plus au milieu que
la lune; le soleil , le pôle et toute chose" .
Giordano Bruno, du triple minimum
"Si
nous supposons une personne à l'intérieur d'un navire en mouvement au
milieu des eaux, qui ne sait pas que l'eau est en mouvement, ni ne voit
les rives, il ne sera pas au courant du mouvement du navire"
Giordano Bruno, L'Infini, L'univers et les Mondes, III.
« Toutes choses qui se trouvent sur
la Terre se meuvent avec la Terre. La pierre jetée du haut du mât reviendra en
bas, de quelque façon que le navire se meuve».
Giordano Bruno, Le Banquet des cendres, III
Astronomie
Hymne au levé du Soleil
Giordano Bruno,
L’Infini
Physique
"Nous ne pouvons pas nier l'infini simplement parce que nous ne le
percevons pas de façon sensible" "il n'y a rien à l'extérieur pour limiter
l'univers"
Giordano Bruno,
L'Infini, l'Univers et les Mondes, Epitre.
« Si la toute-puissance ne rend pas
le monde infini, elle est impuissante à le faire; et s'il elle n'a pas le
pouvoir de le créer à l'infini, alors elle doit manquer de vigueur pour le
conserver pour l'éternité [...] si une puissance active infinie actionne un
être corporel et dimensionnel, cet être doit nécessairement être infini; sinon,
il y aurait dérogation à la nature et à la dignité du créateur et de la
création » « si Dieu crée tout ce qu'il peut faire, l'Univers ne saurait être
fini » « qui nie l'effet infini, nie la puissance infinie»
Giordano Bruno, L'Infini, l'Univers et les Mondes, I.
" Dans ce champ spacieux qu'est
l'air ou le ciel, ou le vide, dans lequel sont tous ces mondes qui contiennent
des animaux et des habitants pas moins que notre propre terre, car ces mondes
n'ont pas moins de vertu ni une nature différente de celle de notre terre"
Giordano Bruno, L'Infini, l'Univers et les Mondes, Epitre
Giordano Bruno,
L'Infini, l'Univers et les Mondes, V.
"
Alors sera ouverte la porte de la compréhension des vrais principes de
la nature, et nous pourrons avancer à grands pas sur le chemin de la
vérité qui a été caché par le voile d'illusions sordides et bestiales
et qui est resté secret jusqu'à nos jours, [..] depuis qu'a succédé à la lumière du jour
des anciens sages, la nuit trouble des sophistes téméraires".
Giordano Bruno, L'Infini, l'Univers et les Mondes, III.
" Ce sont des racines amputées qui
germent à nouveau. Ce sont des antiques choses qui se réveillent. Ce sont des
vérités cachées qui se découvrent. C’est une nouvelle lumière qui après une
longue nuit, pointe à l’horizon de notre connaissance et peu à peu s’approche
du méridien de notre intelligence [...] Approuvant et confirmant ce que
Democrite, Epicure et beaucoup d'autres ont dit, qui ont envisagé la nature
avec des yeux plus ouverts, et n'étaient pas sourds à ses voix importunes".
Giordano Bruno, L'infini, l'Univers et les Mondes,
V.
l'Eternité des Essences
" Grâce à cette science, nous atteindrons certainement ce bien que d'autres sciences recherchent en vain. Car voici la philosophie qui aiguise les sens, satisfait l'âme, agrandit l'intellect et conduit l'homme à la vraie félicité à laquelle il peut parvenir, qui consiste dans un certain équilibre, car elle le libère de la recherche ardente du plaisir et du sentiment aveugle du chagrin; elle le fait se réjouir du présent et ni craindre ni espérer pour l'avenir. Car cette Providence ou Destin ou Lot qui détermine les vicissitudes de notre vie individuelle ne désire ni ne permet que notre connaissance de l'un dépasse notre ignorance de l'autre, de sorte qu'à première vue nous sommes douteux et perplexes. Mais quand nous considérons plus profondément l'être et la substance de cet univers dans lequel nous sommes immuablement installés, nous découvrirons que ni nous, ni aucune substance ne souffrons la mort; car rien n'est en effet diminué dans sa substance, mais toutes choses errant dans l'espace infini subissent un changement d'aspect. [...] En aucun cas la nature des choses ne pouvait être anéantie quant à sa substance, sauf en apparence [...] Ainsi, Démocrite et Épicure qui soutenaient que tout dans l'infini subit un renouvellement et une restauration, comprirent ces choses plus véritablement que ceux qui voudraient à tout prix croire en l'immuabilité de l'univers, alléguant un nombre constant et immuable de particules d’une matière identique qui subit une transformation perpétuelle, l’une dans l’autre".
Giordano Bruno, L'Infini, l'Univers et les Mondes, Epitre.
Giordano Bruno, Cause, Principe, Unité, V.
La Compatibilité
de la Liberté et de la Nécessité
« Liberté,
volonté, nécessité sont tout à fait la même chose"
Giordano Bruno, L'Expulsion de la bête triomphante, II, I.
" [L']action [de l'univers] est déterminée par la nécessité, puisqu'elle procède de
cette volonté suprêmement immuable, où immuabilité et nécessité ne sont
donc qu'une seule et même chose. C'est pourquoi nous percevons l'identité complète de la liberté, du libre arbitre et de la nécessité et,
de plus, nous reconnaissons que l'action et la volonté, la
potentialité et l'être ne sont qu'un." ""Il ne peut pas vouloir faire
autre chose que ce qu'il veut" "Cette nécessité et ce libre
arbitre sont compatibles". "Ces syllogismes sont démontrables. Néanmoins, je loue quelques dignes
théologiens qui ne les acceptent pas. Pour avoir soigneusement
examiné la question, ils savent que les gens grossiers et ignorants
sont incapables de concevoir comment, sous cette nécessité, le libre
arbitre et la dignité ou les récompenses de la justice peuvent
survivre. C'est pourquoi, confiants ou désespérés sous un destin
irrévocable, ils deviennent inévitablement très méchants."
Giordano Bruno, L'infini, l'Univers et les Mondes, I
Note: Comme chez Spinoza,
la compatibilité de la nécessité/déterminisme
et de la liberté est affirmée, mais elle n'est pas bien expliquée. Vous
trouverez une proposition d'explication moderne à cette compatibilité
dans le chapitre "la liberté et le déterminisme" de l'Amour de la Raison Universelle.
" L'univers est tout ce qu'il peut être, d'une manière dépliée,
dispersée et distincte, tandis que son premier principe est tout ce
qu'il peut être d'une manière unifiée et indifférenciée, puisque
tout est là dans son ensemble, absolument une seule et même chose sans
différence ni distinction."
"Si, par conséquent, le soleil était tout ce qu'il pouvait être
et possédait tout ce qu'il était disposé à posséder, il serait
simultanément partout et en toutes choses; il serait si parfaitement
mobile et rapide qu'il serait également absolument stable et immobile."
"La divinité est dite éternellement stable et tout à fait rapide dans
sa course d'un bout à l'autre "
Giordano Bruno,
Cause, Principe, Unité,
III
" Bien que je prétende que toute cette multiplicité se rassemble en
un seul être indivisible qui est au-delà de toute sorte de dimension,
j'affirme toujours que cet être est la matière dans laquelle tant de
formes sont unies [...] permettant de conclure qu'il y a une seule
matière, une seule puissance, par laquelle tout ce qui existe le fait
en acte" " la matière possède à la fois, toujours et ensemble, tout ce
qu'elle peut posséder et est tout ce qu'elle peut être; dans ce dernier
cas, [l'univers] a tout ce qu'il peut posséder et est tout ce qu'il
peut être,
mais à des moments différents et selon un certain ordre de succession "
" La forme qui comprend toutes les
qualités n'est en elle-même aucune; ce qui comprend tous les figures n'en
possède pas lui-même; ce qui possède tout être sensible n'est pas, pour
cette raison, accessible aux sens. Ce qui possède tout être naturel est
hautement indivisible; ce qui possède tout être intellectuel est encore
plus fortement indivisible; ce qui possède tout ce qui peut être est le
plus fortement indivisible de tous."
"[Le Tout] a toutes les mesures et a toutes les espèces de figures et
dimensions. Parce qu'il les a toutes, il n'en a aucune, car ce qui est
tellement de choses différentes n'est nécessairement aucun d'eux en
particulier". "Il ne diffère pas du tout dans la puissance absolue et
l'acte absolu, et, parce qu'il est absolument tout, il est donc
absolument pur, simple, indivisible et unifié. S'il possédait des
dimensions finies, un être fini, une propriété finie et une
individualité finie, il ne serait pas absolue, il ne serait pas tout".
Giordano Bruno,
Cause, Principe, Unité, IV.
" L'être - la substance, l'essence ~ est Un, et puisque celui-ci est
infini et illimité, tant en termes de durée que de substance, comme en
termes de grandeur et de vigueur, il n'a la nature ni d'un principe
ni de ce qui est fondé sur des principes" "L’infini est sans doute l'Un" "L'être
unique et suprême, dans lequel l'acte réalisé ne diffère pas de la
puissance, peut être tout à fait et est tout ce qu'il peut être" "Parce
qu'il comprend tout, qu'il ne prend pas les choses l'une après l'autre, et ne souffre
d'aucun changement ni par lui, ni en lui-même, il est, par conséquent,
tout ce qu'il peut être, et en lui (comme je l'ai dit l'autre jour),
l'acte ne diffère pas de la puissance".
" En suivant de près le raisonnement des
philosophes naturels et en laissant les logiciens à leurs fantasmes, on
découvre que tout ce qui cause la différence et le nombre est pur
hasard, pur figure" " Dans l’infini, le point, la ligne, la
surface et le corps ne diffèrent pas. Car là, la ligne est surface car,
en se déplaçant, elle peut devenir surface, et là la surface se déplace
et devient corps, dans la mesure où elle peut se déplacer et devenir,
par son écoulement, un corps." "Ceux
qui disent que l'Un est le principe substantiel signifient que les
substances sont comme des nombres, et ceux qui pensent que le principe
substantiel est un point signifient que les substances des choses sont
comme des figures tous s'accordent à poser un principe indivisible"
" [Le tout] n'a pas de mouvement local
puisqu'il n'y a rien en dehors de lui vers lequel il peut être déplacé,
étant donné qu'il est le tout. Il ne s'engendre pas parce qu'il n'y a
pas d'autre être qu'il puisse anticiper ou désirer, puisqu'il possède
tout l'être. Il n'est pas corrompu parce qu'il n'y a rien d'autre dans
lequel il pourrait se changer, étant donné qu'il est tout. Il ne peut
diminuer ou augmenter parce qu'il est en infinité ou à partir de
laquelle rien ne peut être ajouté ou soustrait, puisque l’infini n'a
pas de parties mesurables. Il n'est pas modifiable en termes de
disposition, car il ne possède aucun extérieur auquel il pourrait être
soumis et par lequel il pourrait être affecté. De plus, puisqu'il
comprend tous les contraires de son être dans l'unité et l'harmonie, et
puisqu'il ne peut avoir aucune propension à un autre et à un nouvel
être, ou même à une manière d'être puis à une autre, il ne peut être
sujet à changement selon aucune qualité".
"Alors pourquoi les choses
changent-elles? Pourquoi la matière particulière se transforme-t-elle
en d'autres formes? Ma réponse est que la mutation ne vise pas un autre
être, mais un autre mode d'être. Et c'est la différence entre l'univers
et les choses de l'univers: car l'univers contient tout l'être et tous
les modes d'être, tandis que chaque chose de l'univers possède tout
l'être mais pas tous les modes d'être"
Giordano Bruno, Cause, Principe, Unité, V
Giordano Bruno, Cause, Principe, Unité, V et Fureurs Héroïques, I, V.
La
Partie et le Tout / Le Macrocosme et le Microcosme
« Je dis que Dieu est tout infini,
parce que tout en lui se trouve dans le monde en son entier et totalement dans
chacune de ses parties, au contraire de l'infinité de l'univers, laquelle est
totalement dans le tout, et non dans ces parties finies.»
Giordano Bruno, L'infini, l'Univers et les Mondes, I.
« Ce qu’on peut dire de chaque parcelle du grand-tout, atome, monade, peut se
dire de l’univers comme totalité».
Giordano Bruno, Cause, Principe et Unité
Note: Spinoza dira que comprendre une chose singulière, c'est comprendre Dieu
(Ethique, V, XXIV).
"A une nouvelle
conception du cosmos, doit correspondre une nouvelle conception de
l'homme" "Si cela est vrai, et c'est vrai ! Alors Dieu n'est pas
au-dessus de nous, hors du monde, mais partout dans chaque particule de matière
inerte ou vivante. Il est la matière même !"
Giordano Bruno (film 1973).
" Quelle que soit la chose que nous prenons dans l'univers, elle a en
elle-même ce qui est entier partout, et donc comprend, à sa manière,
l'âme du monde entier (bien que, comme nous l'avons dit, elle ne la
comprend pas totalement), et ce monde l'âme est entière dans chaque
partie de l'univers. C'est pourquoi, même si l'acte est un et constitue
un être unique, où qu'il se trouve, il ne faut pas penser qu'il existe
dans le monde une pluralité de substance et de ce qui est réellement "
du Dualisme au Monisme dualiste
" [Les matérialistes Démocrite,
Epicure…] veulent que les formes ne soient rien de plus que certaines
dispositions accidentelles de la matière. Et moi bien longtemps j'ai adhéré à
cet opinion par cela seul qu'elle a des fondements qui correspondent plus à la
nature que ceux qu'Aristote, mais après mure réflexion eu égard à plus d'objets
nous trouvons qu'il est nécessaire de reconnaitre dans la nature deux sortes de
substance: l'une qui est forme, l'autre qui est matière" [toutefois....] "je voudrais savoir si, compte tenu de la grande union que cette âme
du monde et la forme universelle de la matière, on ne pouvait pas
admettre une tout autre manière de philosopher, appartenant à ceux qui
ne sépare pas l'acte de l'essence de la matière, et qui comprennent la
matière comme une chose divine [...] Une telle philosophie, me
semble-t-il, ne mérite pas d'être rejetée"
" Ce principe, appelé matière, peut être considéré
dans deux façons: premièrement, comme puissance; deuxièmement, comme
substrat" "cette puissance passive correspond si parfaitement à la
puissance active que l'une ne peut exister d'aucune façon sans l'autre,
de sorte que, si le pouvoir de faire, de produire et de créer a
toujours existé, il en est de même du pouvoir d'être fait, produit et
créé, car une puissance implique l'autre. Je veux dire qu'en posant
l'un, nous posons nécessairement l'autre" "la puissance active et la
puissance passive sont, à la fin, une seule et même chose" "le pouvoir
d'être accompagne l'être en acte et ne le précède pas, car si ce qui
peut exister se faisait, il existerait avant d'être fait" ""acte et
puissance sont la même chose"
" En quoi consiste l'être substantiel de Socrate?», Ils répondront: «En
socratéité»; si vous demandez ensuite: «Que voulez-vous dire par
socratité?», ils répondront: «La forme substantielle et la matière
propre de Socrate». Mais laissons de côté cette substance qui est
matière et demandons: «Quelle est la substance en tant que forme?
Certains d'entre eux répondront: «C'est son âme». Demandez-leur:
"Qu'est-ce que cette âme?" S'ils disent que c'est l'entéléchie et la
perfection d'un corps possédant une vie potentielle, remarquez que
c'est un accident. " "Les formes n'existent pas sans matière,
dans lesquelles elles sont générées et corrompues, et dans le sein
desquelles elles jaillissent et dans lesquelles elles sont ramenées.
Par conséquent, la matière, qui reste toujours féconde et identique,
doit avoir la prérogative fondamentale d'être reconnue comme le seul
principe substantiel; comme ce qui est et demeure pour toujours, et
toutes les formes réunies ne doivent être prises que comme des
dispositions variées de la matière, qui vont et viennent, cessent et se
renouvellent, de sorte qu'aucune n'a de valeur comme principe. C'est
pourquoi nous trouvons des philosophes qui, après avoir réfléchi à fond
l'essence des formes naturelles, [...] ont finalement conclu que ce ne
sont que des accidents et des particularités de la matière, de sorte
que, selon eux, c'est à la matière que nous devons accorder le
privilège d'être acte et perfection, [...] c'est-à-dire, à leur avis,
la matière, qui pour eux est un principe nécessaire, éternel et divin,
comme c'est le cas pour Avicebron, le Maure, qui l'appelle " Dieu qui
est en tout ".
" Vous voyez donc à quel point l'excellence de la puissance
est grande, et si vous aimez enflammer l'essence de la matière, dans
laquelle les philosophes vulgaires n'ont pas pénétré, vous pouvez, sans
nuire à la divinité, la traiter de manière plus élevé que Platon l’a
fait dans sa République et son Timée. Ces idées ont scandalisé certains
théologiens parce qu'ils ont trop valorisé la matière. Cela s'est
produit [...] parce que les théologiens, ayant été élevés sur les
opinions d'Aristote, ne considéraient la matière qu'au sens du
substratum des choses naturelles, ne les avait pas bien comprise. Ils
ne voient pas que, selon d'autres, la matière est comprise comme étant
commune aux mondes intelligibles et sensibles".
" L'univers a un premier principe pris comme une
unité, et n'est plus considéré comme doublé en principe matériel et en
principe formel" "bien qu'en descendant le long de l'échelle de la
nature, il y a deux substances, une spirituelle et une matérielle, les
deux sont finalement réduits à un être et à une racine ".
Giordano Bruno, Cause, Principe et Unité, dialogue III.
Pour Bruno, "Pythagore est meilleur et plus pur que Platon" (Cause, Principe et Unité, V) et "les philosophes les plus excellents du mondes sont Empédocle (pythagoricien) et Epicure" (Expulsion Bête Triomphante, II,II).
Au vu de sa doctrine, Bruno nous apparait effectivement à mi-chemin entre un
pythagoricien et un épicurien. Que faut-il comprendre par le terme pythagoricien ? Pythagore c'était un peu
le rationalisme matérialiste de Démocrite et l'irrationalisme spiritualiste de Platon en même temps ! Pythagore mêlait une conception très rationnelle de la matière, à de l'irrationnel mystico-religieux et il a eu deux grands successeurs (Démocrite et Platon) qui ont dissocié sa pensée. D'un côté, les idées rationalistes de Pythagore ont été reprises et développées par Démocrite, tandis que l'irrationalisme a été (via Philolaos) développé par Platon. Et bien Bruno est le Pythagore de la renaissance ! Il mélange le rationnel matérialiste et l'irrationnel spiritualiste et son Démocrite s'appellera Spinoza, tandis que son Platon sera Leibniz.
En effet, si l'on trouve chez Bruno, déjà sous une forme assez aboutie de nombreuses idées-clef de Spinoza, le principal défaut de Bruno est paradoxalement de ne pas avoir été suffisamment radical, de ne pas s'être complètement débarrassé du néoplatonisme (alors dominant chez les
intellectuels de la renaissance) et de la superstition qu'il combattait, mais d'avoir essayé d'adapter sa nouvelle
philosophie à l'ancienne philosophie moyenâgeuse.
Si Bruno pouvait revenir parmi nous aujourd'hui et découvrir les sciences que nous connaissons, il serait émerveillé de voir à quel point il était dans la bonne direction et combien certaines de ses idées étaient justes et ont triomphé, mais il réaliserait aussi certainement qu'il n'a finalement pas été suffisament loin (même s'il était déjà au-delà de ce qui était audible par ses contemporains) et a rétrospectivement manqué de discernement, en cherchant à faire cohabiter des vieux concepts plutôt que de trancher encore plus nettement en faveur de la nouvelle philosophie. Il faisait lui-même ce reproche à Nicolas de Cues qu'il l'a amené à l'idée d'infini: "il n'a pas écarté tous ces faux principes imbibés dans la doctrine habituelle dont il s'était séparé" (Infini, Univers, Mondes, III).
Les
deux plus grandes erreurs en philosophie sont l'erreur théologique et
l'erreur spiritualiste, or sur ces deux points on va voir que
Bruno n'a pas suffisament coupé avec le platonisme. De même alors que l'idée d'infini devait logiquement le conduire à
éliminer la finalité comme chez Démocrite, Bruno la conserve. Bien qu'il déclare être "le fléau d'Aristote", Bruno
ne rejette pas les causes finales, contrairement à Françis Bacon,
Descartes et Spinoza.
Très influencé par l'unité de Nicolas de Cues, Bruno cherche à faire
coincider les contraires (comme Ahura Mazda/Ahriman, ou Ying/Yang du
taoisme). Le problème de ces conceptions est la tendance à confondre
l'équilibre entre des complémentarités avec les contradictions.
En conclusion, chez Bruno le surnaturel, la transcendance, le dualisme, la cause première sont réinterprétés, atténués et tenderait logiquement à s'estomper, tout cela n'est pas franchement et clairement rejetté ce qui fut la source de ses erreurs, brièvement évoquées ci-dessous. Malgré donc des insuffisances, on peut malgré tout rester admiratif devant l'extraordinaire chemin parcouru par Bruno depuis les enseignements délivrés au couvent dominicain.
Magie Naturelle ?
Note: Bruno avait un
attrait pour la magie, quoi que le mot magie
est source de confusion, car il distingue la magie noire de ce
qu'il apelle "la magie naturelle". Rapellons également que Kepler croyait en l'astrologie et plus tard Newton encore en l'alchimie, donc à l'époque de grands savants croyaient encore.)
La magie « relève de la connaissance des secrets de la nature avec une capacité
d'imiter la nature dans ses œuvres et des faire des choses qui apparaissent
merveilleuses aux yeux du vulgaire »
Giordano Bruno, cité Par Jean Rocchi, dans l’errance
et l’hérésie p 244
Note. Bruno assure que ses facultés de mémorisation sont un art et non de la magie. Il
s’agit de favoriser la mémoire associative en mémorisant une succession
de lieux dans un édifice, et d’attacher ainsi à la série de lieux
mémorisés des images destinées à rappeler les points d’un discours. En
prononçant son discours l’orateur se promene dans son imagination le
long des endroits qu’il a mémorisé, cueillant au passage les images qui
lui rappelaient les figures de son discours.
Métensomatose (l'erreur spiritualiste)
« Toutes les âmes font partie de
l'âme de l'Univers, et tous les êtres à la fin sont Uns. (...) Chaque acte
apporte sa récompense ou sa punition dans une autre vie. Le passage dans un
autre corps dépend de la façon dont il s'est conduit dans l'Un (...). Le but de
la philosophie est la découverte de cette unité. »
Giordano Bruno, L'Expulsion de la bête triomphante,
épitre explicative
note: Bruno reprend ici Pythagore et Platon avec la théorie de la métempsychose exposée dans le Phédon.
« J'ai tenu et tiens les âmes pour
immortelles parlant en tant que catholique, elles ne passent pas du corps au
corps, mais vont au paradis, au purgatoire ou à l'enfer. Mais j'ai raisonné
profondément, et, parlant en tant que philosophe, puisque l'âme n'est pas
trouvée sans corps mais n'est pas corps, elle peut être dans un corps ou dans
des autres, et passe du corps au corps. Ceci, s'il (ne soit pas prouvé) vrai
semble au moins, vraisemblable »
Giordano Bruno, épreuve de Venise
« L'âme n'est pas dans le corps
localement, mais elle y est intrinsèquement comme sa forme, et extrinsèquement
comme créateur de sa forme, semblable à celle qui forme les membres et façonne
le composite de l'intérieur et de l'extérieur. C'est donc le corps qui est dans
l'âme; l'âme est dans le mental, et le mental est Dieu ou est en Dieu »
Note: "Que les démons jettent, la nuit, de
petites pierres contre lui , Bruno n'en doute aucunement , puisqu'il en a fait l'expérience..."
Hèlène Védrine. La Conception De La Nature Chez Giordano Bruno.
Panpsychiste,
il pense que tout est psychique
« Toutes les formes de choses
naturelles ont des âmes ? Toutes les choses sont donc animées ? demande Dicson.
Theophilo, porte-parole de Bruno, répond : Oui, une chose, si petite et si
minuscule qu'on voudra, renferme en soi une partie de substance spirituelle ;
laquelle, si elle trouve le sujet [support] adapté, devient plante, animal
(...) ; parce que l'esprit se trouve dans toutes les choses et qu'il n'est de
minime corpuscule qui n'en contienne une certaine portion et qui n'en soit
animé. »
« Je concède toute chose ont en
elles une âme, une vie, selon la substance et non suivant l’acte et l’opération
des péripatéticiens et de tous ceux qui définissent la vie et l’âme suivant des
raisons trop grossières […]. La table comme tel n’est pas animée ni le cuit ni
le verre comme tels. Mais entendus comme chose naturelles et composés ils
ont en eux matière et forme. Considérez un être aussi minime soit-il, il a en
soi un part de la substance spirituelle et selon les dispositions du sujet , il
devient plante ou animal par ce que l’esprit se trouve en toute chose. »
Giordano Bruno, Cause, Principe et Unité, II.
Hylozoïste,
il pense que tout est vivant
« La Terre et les astres (...),
comme ils dispensent vie et nourriture aux choses en restituant toute la
matière qu'ils empruntent, sont eux-mêmes doués de vie, dans une mesure bien
plus grande encore ; et vivants, c'est de manière volontaire, ordonnée et
naturelle, suivant un principe intrinsèque, qu'ils se meuvent vers les choses
et les espaces qui leur conviennent »
Giordano Bruno, Le Banquet des cendres
Hèlène Védrine. La Conception De La Nature Chez Giordano Bruno. p37
Aperçu de ses Œuvres complètes en Français
Voici
des traductions
automatiques/préliminaires de quelques oeuvres de Bruno offrant un
premier aperçu du contenu de ses livres en français et pouvant servir
d'aide à
la lecture de ses oeuvres disponibles en italien,
latin ou en anglais disponibles ailleurs sur internet. Des traductions
en français de meilleur qualité, mais de certaines oeuvres seulement, sont disponbiles aux éditions Belles-Lettres.
• « De la Cause, du Principe et de l’Un
» / De la causa, principio, et Uno (1584).
• « L’Univers, l’Infini et les Mondes
», / De l'infinito universo et Mondi (1584).
Une défense du concept d'univers infini et un rejet des objections d'Aristote.
• « Des fureurs
Héroïques » / De gl' heroici furori (1585).
L'élan de la philosophique contemplative et spéculative identifié à un élan amoureux qui pousse à s'unir à la divinité immanente.
• De triplici
minimo et mensura (1591).
Traité sur l'infiniment petit d'un point de vue démocritéen.
►
Présentation Générale de l'essai: "L'Amour de la Raison Universelle"
► De la Destruction du Paganisme Antique au Panthéisme du XIIe siècle
► Spinoza: Difficultés d'Interprétation
► Page principale du site du philosophe Willeime