Démocrite: un génie vénéré comme un Dieu dans l'antiquité
Au Ier siècle avant JC, Démocrite était considéré comme le plus grand philosophe. Même Cicéron, Aristote ou Sénèque (qui sont pourtant des adversaires) le
reconnaissent. Mais alors que s'est-il passé pour qu'il soit à ce point
encore oublié aujourd'hui ? Une trahison qui, selon nous, en dit long sur l'état de la philosophie dans notre civilisation.
«
Le nom du philosophe Démocrite a été inscrit sur les monuments de
l’histoire grecque comme celui d’un personnage qu’on doit vénérer plus
que d’autres, et doté d’un prestige fort ancien »
Aulu-Gelle, DK A-XXIII
«
il acquit une extrême réputation et fut considéré comme un dieu »
Diogène Laerce, Vie des Philosophes Illustres, Démocrite
«
Que dirais je de Démocrite ? Qui pouvons nous lui comparer en ce qui
concerne non seulement l'ampleur du talent, mais aussi pour la grandeur
d’âme ? »
Cicéron , Premiers académiques
« Démocrite, cet homme de premier plan »
Cicéron, De la nature des dieux, I, XLVII
« Quel sage a jamais vécu et fait une œuvre égale à celle de Démocrite.... le meilleur de tous les philosophes »
Diogène Laerce, Vie des Philosophes Illustres, Démocrite
« Personne, si l'on en excepte Démocrite, n'a parlé d'aucun de ces sujets autrement que d'une façon toute superficielle » Aristote de la génération et de la corruption, 1.2 & (Luria 101).
« Démocrite, le meilleure des sages » Hippocrate, disciple de Démocrite, lettres de pseudo-Hippocrate
« Démocrite le plus subtil de tous les anciens » Sénèque, Questions naturelles
« Le divin Démocrite » Lucrèce, de la nature des choses, V
« une doctrine que la plupart des gens regardent comme la plus ingénieuse de toutes" Platon, Lois, Livre X. à propos du matérialisme incluant donc Démocrite.
«
Il eût vraiment fallu un Démocrite, voire Epicure lui-même ou
Métrodore, enfin quelqu'un de ces hommes dont la raison d'acier résiste
à ce genre d'étonnement pour refuser de croire [aux très habiles tour
de passe-passe réalisés par ce charlatan]"
Lucien de Samosate. Alexandre ou le faux prophète.
Biographie
Démocrite, originaire d’Abdère,
fut disciple de mages et de Chaldéens que le roi Xerxès avait laissés à
son père, quand il vint vivre chez lui. Après cela, il vint trouver
Leucippe, et, selon une autre tradition, Anaxagore. Il avait alors
quarante ans de moins que lui. Il quitta son pays pour aller en Égypte
apprendre des prêtres la géométrie, et qu’il poussa jusqu’en Chaldée,
en Perse, et à la mer Érythrée. On dit même qu’il fréquenta les
gymnosophistes en Inde et qu’il alla en Éthiopie. Étant le dernier de
trois frères, il partagea la fortune paternelle, et la tradition la
plus courante est qu’il ne prit que la plus petite part, celle qui
était en argent liquide, dont il avait besoin pour son voyage. Il vint
à Athènes, et ne chercha pas à se faire connaître, parce qu’il
méprisait la gloire. il connut Socrate, mais ne se fit pas connaître de
lui. Il était un lutteur en philosophie, car il connaissait bien la
physique, la morale, et par surcroît les mathématiques et les arts
libéraux et avait l’expérience de toutes les disciplines. Il a
reçu les leçons d’un Pythagoricien: Apollodore de Cyzique dit qu’il
fréquenta Philolaos.
Il s’efforçait, de mettre à l’épreuve de façon variée
ses sensations, se retirant parfois dans la solitude et vivant même
dans des tombeaux A son retour de voyage, il vivait de façon très
humble, ayant épuisé toute sa fortune, si bien qu’à cause de sa
pauvreté, son frère Damasios dut lui venir en aide. Comme il y avait
une loi selon laquelle celui qui a dépensé la fortune paternelle n’a
pas droit à la sépulture dans son pays, apprenant
cela, et pour que des envieux et des calomniateurs ne lui demandent
point de comptes, il lut à ses concitoyens son ouvrage intitulé
le Grand système du Monde, qui est le plus beau de tous ses écrits, et
qu’à la suite de cette lecture, on lui fit don de cent talents et de
vingt statues de bronze, et après sa mort, il fut enseveli aux frais de
l’État. Diogène Laerce, Vie des Philosophes Illustres, Démocrite
L'univers selon Démocrite: la matière et le vide
A l’origine de toutes choses il y a les atomes et le vide (tout le reste n’est que supposition). Diogène Laerce, Vie des Philosophes Illustres, Démocrite
Leucippe
et son ami Démocrite ont admis pour éléments le plein et le vide, qui,
suivant eux, sont en quelque sorte l'Être et le Non-Être ; le plein et
le dense représentent l'Être ; le vide et le rare représentent le
Non-Être. De là vient qu'ils soutiennent que l'Être n'existe pas plus
que le Non-Être, attendu qu'à leur sens le vide n'existe pas plus que
le plein ou corps solide. Aristote, la metaphysique, livre premier
“Voilà ce que je dis de toutes les choses”. “Un tourbillon de toutes sortes de figures
s'est séparé du tout”.
“Notre ciel et tous les mondes ont pour cause le hasard: car c’est du hasard
que provient la formation du tourbillon”. “La liaison fortuite des
atomes est l'origine de tout ce qui est”. “L'univers est infini
parce qu'il n'est l'œuvre d'aucun démiurge”. “Les mondes sont
illimités et différents en grandeur: dans certains il n’y a ni soleil ni lune,
dans d’autres le soleil et la lune sont plus grands que chez nous, et dans
d’autres il y en a plusieurs. Les intervalles entre les mondes sont inégaux. Dans
certains endroits il y en a plus, alors qu’il y en a moins dans d’autres. Les
uns croissent, d’autres sont à leur apogée, et d’autres meurent. Ici ils
naissent alors que là ils disparaissent en entrant en collision. Certains
mondes sont privés d’animaux, de plantes et de toute humidité”.
“L’humide est le premier responsable de la vie”. “Le corps est mû
par l’âme, mais l’âme est quelque chose de corporel”. “Elle se
désagrège en même temps que le corps”. Citations de Démocrite rassemblées dans l'Amour de la Raison Universelle. Pour les référence bibliographiques, se reporter à l'ouvrage disponible en ligne.
Les mondes sont illimités, engendrés et périssables. Rien ne naît du
néant, ni ne retourne au néant. Les atomes sont illimités en grandeur
et en nombre et ils sont emportés dans le tout en un tourbillon. Ainsi
naissent tous les composés : le feu, l’air, l’eau, la terre. Car ce
sont des ensembles d’atomes incorruptibles et fixes en raison de leur
fermeté. Le soleil et la lune sont composés de masses semblables,
lisses et rondes, tout comme l’âme, qui ne se sépare pas de l’esprit.
Nous voyons par des projections d’images, et tout se fait par
nécessité, car le tourbillon est la cause universelle et c’est ce
tourbillon qui est le destin. Diogène Laerce, Vie des Philosophes Illustres, Démocrite
Hasard et Nécessité
Le hasard chez Démocrite
n’a rien à voir avec une incertitude fondamentale (comme en mécanique
quantique), mais il est seulement la conséquence du fait que les atomes se heurtent dans le vide, et
produisent au gré de leur rencontre toutes les choses réelles. Ce hasard
n’est donc que l’autre nom de la nécessité physique, car il opère selon un
déterminisme précis. Sur cette question, on trouvera une discussion plus complète dans l'ouvrage de Jean Salem: Démocrite, Grain de poussière dans un rayon de soleil, p77.
Un réductioniste grossier ?
Pour
Démocrite, tout ce qui existe
est composé d’atomes. Si comme tout matérialiste, Démocrite est
effectivement un réductionniste, il ne pratique pas un réductionnisme
grossier, mais il
cherche à
comprendre les causes précises des choses, d’où les titres de ces
ouvrages perdus: « Causes célestes », « Causes de
l’air », « Causes de la terre », « Causes du feu et
de son contenu », « Causes des sons », « Causes des
germes »... C’est là, la thèse principale de Pierre-Marie Morel: Démocrite et la recherche des causes
Origine Pythagoricienne de l’atome démocritéen
La théorie atomiste nait dans le
prolongement des théories Pythagoricienne sur la nature mathématique de
la matière. Dans l’antiquité cette filiation a paru évidente à
plusieurs commentateurs pour qui Démocrite et Leuccipe “font de toutes
choses des nombres”§. Les atomes sont des figures géométriques
parfaites dénuées de tout caractère physique (température, couleur,
odeur...), et sont uniquement définies par leurs propriétés
géométriques (“forme, ordre, position” ). Au lieu de repousser
l’explication de l’origine de l’univers à un ordre extérieur (un dieu
transcendant ou un monde platonicien des idées), l’exigence de
simplicité logique avait, en son temps, conduit Démocrite à proposer
que l’infinité des mondes était elle-même la complète réalisation de la
géométrie. Les atomes sont simplement toutes les figures géométriques
imaginables. Ce type d’idée réapparaît dans la physique théorique
contemporaine, notamment en théorie des cordes et ses dérivés qui
proposent que toutes les particules élémentaires (électrons, quarks)
sont formées à partir d'entités purement géométriques. Extrait de l'Amour de la Raison Universelle § Aristoste, Traité du ciel, III, IV, 303 (Leucippe DK A-XV; EP p391). Leuccipe
aurait été un élévè direct de Pythagore (Leuccipe DK A-V ; EP p385)
avant de devenir le maître de Démocrite. Même si un certain mystère
semble entouré Leuccipe, Diogène Laerce conclue que les sources
s’accordent à reconnaitre que Démocite “fut l’élève d’un Pythagoricien”
(DK A-I, EP p402).
Extrait des notes de l'Amour de la Raison Universelle Les philosophes qui ne reconnaissent qu'une seule
substance constitutive des choses, ne regardent les autres phénomènes
que comme des modifications de cette substance unique. De même, en
prenant le vide et le dense pour les principes de ces modifications,
Leucippe et Démocrite admettent que ce sont certaines différences qui
sont les seules causes de tout le reste des phénomènes. Toutefois, ils
réduisent ces différences à trois : la forme, l'ordre et la position. A
les entendre, l'Être ne peut avoir de différences qu'à ces trois égards
: configuration, contact et tournure ; et de ces trois termes, la
configuration répond à la forme ; le contact répond à l'ordre; et la
tournure, à la position. Par exemple, la lettre A diffère de la lettre
N par la forme ; AN diffère de NA par l'ordre ; et Z diffère de N par
la position. Aristote, la metaphysique, livre premier
Convention que le doux, convention que l'amer, convention que le chaud,
convention que le froid, en réalité il n'y a que les atomes et le vide.
Démorite, DK B IX EP p499
Les
émules de Platon et de Démocrite supposaient que seuls sont vrais les
intelligibles. Mais, pour Démocrite, c’est parce que n’existe par
nature rien de sensible, étant donné que les atomes, dont la
combinaison forme toutes choses, sont par nature dépourvus de toute
qualité sensible. Pour Platon, en revanche, c’est parce que les
sensibles connaissent un perpétuel devenir, et jamais ne sont
véritablement.
Sextus Empiricus, Contre les mathématiciens VIII 6
Démocrite admettait des atomes très grands
DK A XLIII; A XLVII
La voie lactée est la lumière de certaines étoiles. Elle
est le point de concours de rayons lumineux en provenance d'astres
nombreux, petits et continus, dont le groupement compact produit
l'éclat d'ensemble. Démorite, DK A XCI EP p445
Une sorte d'ombre en provenance des régions élevées s'étend sur la Lune, car elle a des vallées Démorite, DK A XC EP p445
Démocrite
et la plupart des philosophes de la nature qui traitent de la
sensation, inventent quelque chose de tout à fait extravagant : ils
considérent que tous les sensibles sont tangibles. Mais s'il en était
ainsi, il est évident que tous les sens seraient une sorte de toucher. Aristote (qui se trompe encore une fois), Des sens, IV,
Démocrite déclare soupsonner l'existence d'un plus grand nombre de planètes Sénèque, DK A XCII EP p446. Dans l'antiquité on conaissait seulement 5 planètes.
l’Eternité des Essences et la Multiplicité de l'Existence
Démocrite
est crédité d'avoir rencontré des philosophes indiens et d'avoir rapporté en occident les
concepts de microcosme, ataraxie (paix de l'âme) et peut-être
également la multiplicité de l'existence.
Les sceptiques
Métrodore de Chio -> Diogène de Smyrne -> Anaxarque d'Abdère -> Pyrrhon -> Nausiphane (-> Epicure)
Les sophistes Protagoras -> Prodicos de Céos
Les isolés
Diagoras de Mélos, dit "l'athée"; Apollodore de Cyzique; Diotime de Tyr;
Les scientifiques (Métrodore de Chio ->) Hippocrate Bion d'Abdère; (... Bolos de Mendès)
Un savoir Encylopédique
Démocrite avait dévellopé un savoir encylopédique avant Aristote. Cicéron disait de Démocrite : « Il n'est rien dont il ne traite ». Voyez ci-dessous le catalogue de ses oeuvres perdues selon Diogène Laerce Ouvrages moraux
: Pythagore ; Disposition du sage ; des Enfers; Tritogénie (4) (ainsi
nommée, parce que d'elle viennent trois choses dans lesquelles se
résume tout l'homme (5) ) ; de la Probité ou de la Vertu ; la Corne
d'Amalthée; de la Tranquillité d'âme; Commentaires moraux. Quant au
traité du Bien-être, il ne se trouve point. Ouvrages physiques
: Grande organisation du monde (attribué à Leucippe par Théophraste);
Petite organisation du monde ; Cosmographie ; sur les Planètes ; de la
Nature, premier traité; de la Nature de l'homme, ou de la chair, deux
livres; de l'Intelligence; des Sens; (on réunit quelquefois les deux
derniers ouvrages sous le titre de traité de l'Ame) ; des Humeurs ; des
Couleurs ; des différentes Figures ; du Changement des figures ;
Preuves à l'appui (complément des ouvrages précédents); de l'Image, ou
de la Providence, des Pestes ou des Maladies pestilentielles, trois
livres; Difficultés. Ouvrages sur la nature :
Causes célestes ; Causes de l'air ; Causes des Plans ; Causes du feu et
des divers phénomènes qu'il présente; Causes de la voix; Causes des
semences, des plantes et des fruits ; Causes des animaux, trois livres;
Causes diverses; de l'Aimant. Ouvrages mathématiques
: de la Différence d'opinion, ou delà Tangence du cercle et de la
sphère; de la Géométrie ; des Nombres ; des Lignes incommensurables et
des solides; Explications; la Grande année, ou Tableau astronomique ;
Discussion sur la clepsydre ; Uranographie ; Géographie ; Polographie ;
Actinographie. Ouvrages sur la musique
: du Rhythme et de l'Harmonie ; de la Poésie ; de la Beauté des
Vers; des Lettres bien et mal sonnantes ; sur Homère, ou de la bonne
prononciation et des dialectes ; du Chant ; des Mots ; des Noms. Sur les arts
: Pronostics ; du Régime, ou Théorie médicale ; Causes, sur
l'inopportunité et l'opportunité ; de l'Agriculture, ou Géorgiques ; de
la Peinture ; de la Tactique et de l'art militaire. Quelques auteurs donnent des titres particuliers aux ouvrages suivants tirés de ses mémoires
: Caractères sacrés de Babylone ; Caractères sacrés de Méroé; Périple
de l'Océan ; de l'Histoire ; Discours chaldéen ; Discours phrygien ; de
la Fièvre ; de la Toux ; Principes des lois ; les Sceaux, ou Problèmes.
On lui attribue encore d'autres traités ; mais ce sont ou bien de 215
simples extraits de ses livres, ou des ouvrages évidemment supposés.